jeudi 31 décembre 2009

Top / Flop 2009 du spectacle vivant

En 2009, Beckmesser a assisté à 80 spectacles vivants, opéras, concerts, pièces de théâtre, spectacles de danse...Une année somme toute assez intense, avec de grandes surprises, des révélations, des confirmations, des découvertes, mais aussi d'immenses déceptions, des coups de gueule...
Soulignons que la qualité d'ensemble des spectacle fut tout de même extraordinaire, Paris regorgeant de possibilités exceptionnelles.
Aussi, Beckmesser, exceptionnellement bien disposé pour les fêtes de fin d'année (!), insistera peut-être davantage sur les tops que sur les flops: 10 tops et 5 flops seront ainsi retenus.

Les voici du moins important au plus important. Evidemment, ce "classement" est purement subjectif, mais permet de revenir sur les temps forts de l'année.

mercredi 30 décembre 2009

Incomparable Platée (Opéra Garnier, 27 décembre 2009)




On ne présente plus cette Platée de Jean-Philippe Rameau, véritable petit bijou, sorte d'OVNI burlesque dans une époque marquée par la "tragédie française", narrant l'histoire d'un cruel stratagème inventé par Cithéron pour calmer la jalousie de Junon envers son mari, Jupiter: ce dernier devra feindre un amour fou pour Platée, la "naïade ridicule" qui règne sur le marais voisin. Ce qui frappe dans cette oeuvre, c'est sa modernité: modernité du propos, de la parodie de tous les codes dramatiques de l'opéra français de l'époque, modernité de la musique également, où audaces rythmiques et harmoniques s'entremêlent joyeusement.




La production qui est reprise cette année à l'Opéra Garnier a énormément contribué à la popularité de ce petit chef d'oeuvre, et force est de constater qu'elle lui rend totalement justice! Il s'agit à mon sens de la meilleure mise en scène de Laurent Pelly, celle qui l'a manifestement le plus inspiré, et où il fait éclater son talent unique pour donner chair et vie à des créatures divines. Une mise en scène lisible, intelligente, colorée (de vert!), désopilante, virtuose, grinçante, jubilatoire, fourmillant de mille détails, où l'on ne s'ennuie pas une seule seconde...une mise en scène idéale, en somme, qui n'a pas pris une seule ride (on se pince pour croire qu'elle date de 1999). Il faut dire qu'elle est portée par toute une équipe qui ressuscite quelque peu l'esprit de troupe, autour du choeur et de l'orchestre des Musiciens du Louvre-Grenoble et de leur chef Marc Minkowski, qui connaissent cette production sur le bout des doigts et ont un plaisir très communicatif à la reprendre, mais aussi grâce à des danseurs défendant avec conviction une chorégraphie très alerte signée Laura Scozzi.


La distribution, si elle est inégale, est d'un bon niveau d'ensemble, dominée par la Folie...déjantée de Mireille Delunsch, dont l'air principal est un monument à lui tout seul, vocalement et surtout scéniquement. Quelle actrice absolument exceptionnelle, fascinante de bout en bout, et méritant les ovations de la salle! Une véritable bête de scène, en voici un exemple il y a quelques années:




Mention "excellent" aussi pour le Mercure magnifiquement chantant, intelligent et surtout très stylé de Yann Beuron, maîtrisant parfaitement la tessiture, ainsi que pour le Jupiter autoritaire et sonore de François Lis, qu'il me tarde d'entendre dans des rôles où il sera moins à l'étroit. Aimery Lefèvre campe un Momus très subtil, et fait valoir de belles qualités de timbre et de musicalité, ainsi qu'une aisance scénique tout à fait exemplaire. A contrario, Xavier Mas est (oui, c'est facile!) à la ramasse en Thespis dont il n'a ni les aigus, ni la tessiture, ni le style. Une erreur de casting, tout simplement, sans grosses conséquences tant le rôle est vite sacrifié.

Doris Lamprecht en fait peut-être un peu trop en Junon, quant à Judith Gautier, sa voix n'épargne pas au spectateur quelques acidités.

Mais c'est surtout l'incarnation du rôle-titre par Jean-Paul Fouchécourt qui divise: si la maîtrise du style, le jeu scénique, l'incarnation du personnage sont en tous points magnifiques, la voix ne suit pas toujours, elle se fait parfois dure, certaines vocalises ne sont plus très bien assurées. Cependant, il arrive au bout d'un rôle meurtrier, à la tessiture tendue, à l'écriture d'une variété inouïe, avec un métier qui force l'admiration. Nous avons bien devant nous toute la palette expressive du personnage, tantôt drôle, tantôt pathétique, la fin de cette cruelle fable étant d'autant plus saisissante que le personnage, tout comme le chanteur, est poussé à bout.


Un magnifique spectacle pour les fêtes de fin d'année, et enfin une reprise qui s'imposait vraiment!




jeudi 24 décembre 2009

Joyeux Noël!

Les "stars" de l'opéra des années 70-80 se joignent à moi pour vous souhaiter un très Joyeux Noël!
Il sera à coup sûr plus joyeux après le visionnage de ce court programme, qui reflète tout à fait l'idée qu'on se fait des personnalités de chacun...

http://http://www.youtube.com/watch?v=Z9XZDQsnnjk

Chénier vu d'Angleterre

Où l'on apprend que Beckmesser est peu sévère, finalement, comparé à ce journaliste du Financial Times ...

http://www.ft.com/cms/s/2/dc859ede-e5aa-11de-b5d7-00144feab49a.html

"Connerie insondable": il faut oser le dire!

mercredi 23 décembre 2009

Recto/verso: Felicity Lott et Isabelle Moretti (Opéra-Comique, 21 décembre 2009)

Beckmesser a été tellement partagé à l'issue de ce concert qu'il a décidé d'initié une nouvelle rubrique: Recto/verso, consacré aux spectacles (et ils peuvent être nombreux) qui laissent une impression totalement mitigée! Plusieurs points nous semblent prêter à discussion!

Tout d'abord le programme. Intitulé tout d'abord "autour de Messager", il parcourt une très large période, du XVIIIème siècle (et même d'avant, puisque des chansons populaires sont interprétées) au milieu du XXème siècle! Ceux qui pensaient trouver un programme strico sensu "autour de Messager" en seront pour leurs frais! Les autres trouveront un fil rouge à ce programme, insistant sur le rapport au folklore des compositeurs, à l'instar de Messager, dont la seule pièce interprétée est "L'Amour est un oiseau volage". Il faut tout de même avouer que ce fil rouge est très ténu, notamment pour certains intermèdes à la harpe, comme nous le verrons plus tard. De plus, nous nous demandons encore si la relative "facilité" du programme pour la chanteuse n'est pas une sorte de "cache-misère", afin qu'elle masque le déclin de sa voix en offrant...ce qu'elle peut encore offrir. Le programme de plus se situe vraiment à la limite de la musique classique, "Parlez-moi d'amour" et "Frou-frou" étant clairement au-delà de cette limite. Mais là encore, est-ce un vrai problème?

Nous ne saurions en outre définir le type de récital auquel nous avons assisté. Etait-ce un récital classique? Un Liederabend? Pas vraiment! Un canapé, un boa, un carafon et deux verres semblaient indiquer un "concept", une petite mise en scène, mais ils n'étaient là que pour que la chanteuse se repose pendant les intermèdes à la harpe, ils n'étaient que très (trop?) peu exploités scéniquement. Cependant, on reconnaîtra que les frontières parfois trop rigides du récital étaient quelque peu abolies: nous nous trouvions bien dans le salon de Dame Felicity Lott et d'Isabelle Moretti, elles devisaient devant nous, nous racontaient des histoires (celles des pièces interprétées, des compositeurs) de façon "naturelle", nous introduisant dans leur univers. Cela fonctionnait-il pour autant? Certains auront été gênés par un côté légèrement guindé propre à Felicity Lott, un manque de naturel d'Isabelle Moretti ("j'adoooooooooore Faust"), en faisant un peu trop; d'autre au contraire auront apprécié le chic de la chanteuse, ce positionnement à la limite de l'auto-dérision et du tragique, cette délicatesse de ton, cette absence de prétention.

Venons-en au concert proprement dit. Ce fut, il faut l'avouer, au niveau de l'ambiance, un moment assez délicieux, avec quelques moments de grâce. Nous noterons combien Felicity Lott est plus à l'aise dans le répertoire de la mélodie française, qu'en espagnol ou en italien où elle n'a pas grand chose à apporter, si ce n'est sa musicalité et son humilité (qui d'autre oserait dire "je ne connais pas très bien l'espagnol, vous me direz si je me trompe!"). En ce qui concerne les chansons populaires, on déplorera un manque certain d'émotion. Le frisson ne passe qu'épisodiquement, peut-être parce que la chanteuse ne se met pas (assez?) en danger; ainsi le point culminant du récital est à mon humble avis la mélodie de Messager, où enfin elle se fait, comme le texte le dit, "toute frissonnante".

La voix n'est plus intacte, elle graillonne quelque peu dans le médium et le grave, mais la musicalité est là, en témoignent de magnifiques nuances, notamment en fin de phrase. Et l'art de la diseuse est tout de même exceptionnel, avec un français toujours aussi irréprochable, ou presque.

Le concept de récital avec harpe pose aussi la question de l'articulation entre la voix et la harpe, si bien qu'on se demande finalement si Isabelle Moretti n'a pas fait un concert de harpe sur le dos de Felicity Lott! Entendons-nous bien, la complicité des deux artistes était belle à voir, mais en fin de compte on ne retiendra vraiment, peut-être, que les morceaux avec harpe, tant il nous a été donné de voir les multiples facettes de cet instrument - ce qui n'a pas été le cas pour la voix! Le récital s'ouvre avec un solo de harpe celtique, et est parsemé de plusieurs solos qui permettent à Isabelle Moretti de déployer tout son talent, de virtuosité, de toucher, et surtout de phrasés. Avec elle, la harpe chante, bouillonne, est un véritable orchestre à elle toute seule! Elle se fait même orchestre et chant, dans le Rondeau sur le trio "zitti, zitti" du Barbier de Séville, par Nicolas-Charles Bochsa, ou dans la Fantaisie sur Faust de Gounod, par Albert Zabel. Le public, venu en masse pour Felicity Lott, a dû être étonné d'entendre finalement si peu de sa chanteuse favorite, et tant de la harpiste, certes excellente, qui devait (pour lui du moins) "accompagner". Volonté de se ménager de la part de la chanteuse? Tremplin pour la harpiste? Passage de témoin? Réelle volonté de mettre à ce point en valeur la harpe par rapport au chant (et si c'est le cas, félicitons-en Felicity Lott de ne pas s'être mise en avant)? Coup de pub réussi d'Isabelle Moretti sur le public de Felicity Lott? Ce récital n'a pas été sans poser de questions, loin de là!

En bis, "Somewhere over the rainbow", puis de nouveau la mélodie de Messager.





lundi 21 décembre 2009

A suivre la semaine du 21 décembre

On pourrait croire que l'année culturelle se termine doucement, s'évanouisse même dans la dinde, les marrons et autres bûches glacées...eh bien il n'en est rien! Beckmesser sera bel et bien présent dans les couloirs des spectacles cette semaine, avec:
- lundi 21 décembre à l'Opéra Comique, un récital de Felicity Lott et Isabelle Moretti autour de Messager, qui promet d'être un moment de pur délice, idéal pour commencer cette période!
- mardi 22 décembre, aux Ateliers Berthier, La Petite Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist, mise en scène par André Engel.
- dimanche 27 décembre à l'Opéra Garnier, une représentation de Platée de Jean-Philippe Rameau, dans la mise en scène "culte" de Laurent Pelly.
Il sera alors temps de faire les premiers bilans de l'année 2009, de décerner les coups de coeur et coups de gueule de Beckmesser, de dresser quelques perspectives et de prendre quelques résolutions pour l'année 2010.

samedi 19 décembre 2009

A se damner...et se ruiner!


Grubi-boulga

http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=6125

Où l'on apprend que "L’air «Spargi d’amaro pianto...», rejoué en bis (avec un manque de souffle qui provoqua quelques mouvements), fut d’un naturel et d’une délicatesse à l’évidence supérieurs."

C'est seulement qu'il y eut des applaudissements nourris entre le début de la scène de la folie et la cabalette "Spargi d'amaro pianto"...qui n'a aucunement été rejoué!

Où l'on apprend aussi que les jeunes chanteurs étaient "excellents"...A part la mezzo, ce n'est pas vraiment ce que j'ai trouvé, loin de là!

Bienvenue dans la 4ème dimension

- Daddyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy!
(blanc)
- Wouaf wouaf!
(blanc)
- Open the gaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaates! Ooooooooooopen them!
(blanc)
- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah!
(blanc)
- (rires dans la salle)
(blanc)
- (musique bien américaine)
(blanc)
Voilà tout ce qu'il me reste de 2012 au cinéma ce soir. Tout compte fait, j'ai dû bien dormir!

vendredi 18 décembre 2009

En lorgnant dans l'assiette de mon voisin...


Ca n'a pas l'air mal non plus: citron - crème - romarin


Nastri pomodoro zucchini e olive nere


...un délice!

Flânerie sous la neige







Paris sous la neige, avec cette lumière froide si caractéristique, pour laquelle les bâtiments classiques semblent avoir été construits...en écoutant Lisa della Casa chanter Strauss...que demander de mieux?










Phénoménale Grubi (récital Edita Gruberova, Théâtre des Champs-Elysées, 17 décembre 2009)




Mozart : Le Directeur de théâtre, ouverture
"Martern aller Arten", air de Konstanze (Entführung aus dem Serail)

Wolf-Ferrari : I Quattro Rusteghi, Vorspiel et Intermezzo
Il segreto di Susanna, ouverture

Donizetti : "Il dolce suono", "Spargi d'amaro pianto" (Lucia di Lammermoor)

Chapi : Preludio de la Revoltosa

Bellini: "Oh, s'io potessi", "Col sorriso", "Oh sole, ti vela" airs d'Imogene (Il Pirata)

Donizetti : Roberto Devereux, ouverture
"E Sara, in questi orribili", "Vivi, ingrato", "Quel Sangue" airs d'Elisabetta (Roberto Devereux)

bis: Air d'Adele (Johann Strauss, Die Fledermaus), cavatine de Linda di Chamounix (Donizetti), de nouveau l'air d'Adele.



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Il est des concerts où l'on va sans trop savoir à quoi s'attendre, avec un mélange de curiosité (parfois même malsaine!), et de crainte. Curiosité de voir une artiste, Edita Gruberova, qui fait partie des derniers "dinosaures" d'une génération de (quasi-) monstres sacrés, et est rare en France (sa dernière apparition parisienne remontant à un concert de duos avec Vesselina Kasarova en 1999) - sa carrière évoluant essentiellement dans le monde lyrique germano-autrichien et espagnol, où elle est une véritable star. Curiosité malsaine, Beckmesser ayant des a-prioris sur l'artiste en question, supposée de mauvais goût, alternant miaulements et aigus pris par en-dessous, s'attaquant à des rôles trop larges pour sa petite voix de chouette, le tout en minaudant de façon totalement ringarde! Curiosité bienveillante aussi, de voir des amis qui comptent vraiment vouer une admiration sans bornes à cette artiste, et d'essayer d'en décortiquer les raisons, objectives ou non. Curiosité amusée de voir le spectacle dans la salle, et partant de là, un décalage supposé entre cette atmosphère qui promettait d'être électrique, et la qualité réelle de ce que proposerait la chanteuse. Craintes du coup de voir une artiste de 63 ans accuser d'un coup le poids des ans en s'imposant un programme trop lourd, trop long, trop difficile pour elle.



Car il faut une sacrée dose d'inconscience pour composer un tel programme, sans aucun tour de chauffe, commençant par le meurtrier "Martern aller Arten" de l'Enlèvement au Sérail, pour continuer sur des terres italiennes (jugées moins idiomatiques pour la chanteuse) avec des scènes entière, scène de la folie de Lucia, d'Imogene, scène finale de Roberto Devereux. Un tel programme, en soi, est déjà exceptionnel; mais à 63 ans! C'est proprement prodigieux. Mais ce côté prodigieux n'aurait été qu'anecdotique (ou au contraire, aurait desservi la chanteuse) s'il n'était pas totalement maîtrisé, avec un aplomb, une autorité, un métier et un engagement bluffants! Pas à un seul moment, on a l'impression de voir la chanteuse s'économiser pour la suite du programme, bien au contraire!



Dès son arrivée sur scène, Edita Gruberova montre tout son métier. On la sent stressée, tendue, devant les attentes des spectateurs, devant un public français si longtemps frustré de son absence. Eh bien elle réussit à sublimer ce stress bien légitime, à le transformer en énergie positive. Sa Konstanze initiale est donc d'un volontarisme et d'une autorité inouïes. Et dès les premières notes, c'est le choc: la voix n'a absolument rien perdu, ou presque rien, elle est d'une santé époustouflante; la projection est prodigieuse, la voix remplit sans aucune difficulté la salle, bourdonne dans les oreilles des spectateurs, prend mille couleurs, mille inflexions différentes, l'interprète prend des risques incroyables, comme ces notes aiguës attaquées pianissimo puis enflées progressivement, les vocalises n'ont rien perdu de leur précision horlogère, l'intonation est tout à fait juste; on retrouve la grande mozartienne qu'est à la base Gruberova, en lui pardonnant aisément son absence de graves.

Le programme se poursuit par une scène de folie de Lucia qui balance au début entre une volonté louable de sobriété, un effort sur le texte, les accents (avec des notes volontairement "droites"), et un expressionnisme jamais outrancier cependant; toutes les (légères) réserves se trouvent balayées par un dialogue proprement époustouflant avec la flûte, où les deux instruments (parce que là, la voix de Gruberova se fait totalement instrumentale) s'imitent et se croise avec une complicité étourdissante. L'aigu et le suraigu sont cristallins et l'on est totalement suspendu aux lèvres de la chanteuse. Le public exulte à juste titre, ne laissant pas (et c'est presque dommage, tant il y avait une énergie particulière) la chanteuse enchaîner directement sur la cabalette "Spargi d'amaro pianto", enlevée avec brio mais, par la force des choses, détachée du reste de la scène.



La scène de folie d'Imogene était peut-être le moment le moins réussi de la soirée, mais quelle maîtrise tout de même dans une scène meurtrière qui a emporté plus d'une cantatrice, ou à défaut, frustré plus d'un spectateur. Le langage de Bellini est peut-être celui qui convient le moins à la cantatrice, prise (légèrement) en défaut de ligne de chant dans la cantilène initiale - mais quel métier pour venir à bout, et sans difficulté apparente, de cette scène! Et quelle différence avec un extrait sur youtube de la même chanteuse, un an auparavant à Bratislava, qui multipliait erreurs de justesse et écartements stylistiques coupables! A défaut d'adéquation parfaite, la maîtrise est sidérante.

Le concert culmine (enfin, croit-on) avec une scène finale de Devereux pour laquelle la cantatrice s'est adjoint sympathiquement les services de trois jeunes chanteurs, dont nous ne retiendrons que Julie Gautrot, mezzo-soprano à la présence prometteuse. Tout le personnage d'Elisabetta se dévoile sous nos yeux, déchiré, désespéré, et balaie peu à peu les dernières réticences que nous avions. Que la voix sonne large pour une voix aussi à l'aise dans l'aigu! Les nuances piano ne sont en rien des miaulements gratuits, mais ont vraiment un sens dramatique très réfléchi. Et "quel sangue versato" est bouleversant d'émotion, d'impact, de précision, en bref, rend totalement justice à cette page qui tire déjà vers Verdi.

Le délire est total dans la salle et on ne sait qu'admirer le plus chez cette chanteuse: son métier incroyable, sa générosité à toute épreuve, l'impact sidérant de sa voix, sa santé époustouflante pour son âge et au vu de sa carrière, sa technique proprement phénoménale qui lui permet de prendre des risques insensés...pourquoi choisir? C'est cette combinaison de qualités qui font qu'on a l'impression de se trouver devant un "monstre sacré", témoin d'une époque révolue, celles des "divas", enchantant le public par la seule force de leur chant, et non par leur physique de pin-up doublé d'un marketing offensif et ravageur (des exceptions existent qui allient les deux, mais n'est pas Netrebko qui veut).



Un deuxième concert commence une fois le corps du programme effectué. La salle est debout, les fans se font de plus en plus bruyants, interpellent la Diva, lui demandant de revenir au plus tôt à Paris. En guise de bouquet final, la cantatrice nous montre une autre facette de son talent en faisant rire la salle aux éclats dans un air d'Adele (dans la Chauve-Souris de Johann Strauss)hilarant, désopilant, plein de cet esprit viennois si particulier.

Nous n'en avons hélas enregistré que le début:



S'en suivit la cavatine de Linda di Chamounix de Donizetti, irrésistible, avec son passage rapide ("O luce di quest'anima") où Gruberova fit valoir toute sa science des vocalises perlées, détaillées avec une grande gourmandise.



Et pour la fin, à la demande de Dominique Meyer, l'ancien directeur du TCE et nouveau directeur de la Staatsoper de Vienne, véritable seconde maison de "Grubi", une deuxième fois l'air d'Adele, où la chanteuse fait valoir son immense métier: pas à un seul moment, le spectateur n'a l'impression d'entendre le même air! Toujours aussi hilarante, Gruberova "s'attaque", après le premier violon, à un violoncelliste, qu'elle remercie chaleureusement par la suite. La salle est aux anges, presque tous les spectateurs sont debout, spontanément, pour honorer une sacrée artiste!

Voici la fin de cet air:



L'orchestre d'Oviedo, dirigé par "Monsieur Gruberova", Friedrich Haider, sonne plutôt pas mal, accompagne bien cette soirée, nous gratifiant pour une fois dans ce genre d'exercices, d'intermèdes orchestraux plutôt originaux, la direction d'orchestre, un peu molle et conventionnelle au début, se faisant plus affirmée, plus stylée, au fur et à mesure de la soirée. Quelle belle image que cette complicité amoureuse entre la chanteuse et le chef!





Une soirée décidément inoubliable, où les quelques réserves "d'usage" (ports de voix, attaques par en-dessous, idiomatisme parfois discutable en italien...) sont très largements balayés par une générosité et une maîtrise proprement admirables! Grubi est décidément inoxydable!



mercredi 16 décembre 2009

Une "Bohème" à faire pleurer les pierres (TCE, version de concert, 15 décembre 2009)



Asher Fisch, direction
Anja Harteros, Mimi
Vittorio Grigolo, Rodolfo
Elena Tsallagova, Musetta
Levente Molnar, Marcello
Christian Rieger, Schaunard
Christian van Horn, Colline
Alfred Kuhn, Benoît
Rüdiger Trebes, Alcindoro
John Chest, un douanier
ll Hong, un sergent des douanes
Nam Won Huh, Parpignol
Orchestre de la Bayerische StaatsoperChoeur de la Bayerische Staatsoper, direction Andrés Máspero
Maîtrise de Radio France, direction Sofi Jeannin
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Il est des soirées que l'on attend avec un peu d'impatience et de curiosité, mais d'où l'on ressort totalement chamboulé. Celle du 15 décembre en fait partie. J'étais curieux de découvrir Anja Harteros en live, impressionné que j'étais par des extraits de son Elsa avec le Lohengrin de Jonas Kaufmann, de son Amelia Grimaldi avec Domingo à Berlin, ou de l'enregistrement du Requiem de Verdi avec Antonio Pappano. Dans une moindre mesure, j'attendais beaucoup de Vittorio Grigolo, jeune ténor qui monte, remarqué pour un beau Germont à Orange cet été, aux côtés de la Violetta jusqu'au boutiste de Patrizia Ciofi.
De la première à la dernière note, j'ai été totalement happé par cette représentation (et la Bohème en version de concert, c'est une sacrée gageure!) pleine de vie, de contrastes, de joie communicative de faire de la musique. Le chef d'orchestre Asher Fisch avait de l'enthousiasme à revendre, et pas seulement: quelle clarté dans la texture orchestrale de l'Opéra de Bavière! Quel sens des couleurs! Quel lyrisme! Quelle attention aux chanteurs! Une direction d'orchestre en tous points magnifique, enlevée, émouvante, entraînant les chanteurs dans un même mouvement.
Tous les chanteurs étaient concernés de la première à la dernière note. Des seconds rôles nous retiendrons essentiellement le Colline exceptionnel de Christian van Horn, à la ligne de chant et au mordant incomparables. Elena Tsallagova donne à Musetta sa jeunesse, son enthousiasme, son insolence, dans un portrait très réussi et jamais outrancier. Quant à Vittorio Grigolo, s'il séduit par ses élans juvéniles, son sens des nuances, il déconcerte par une tenue de souffle très particulière, "en accordéon" (des sons très enflés puis retenus), et inquiète par une certaine propension à forcer et à crier ses aigus; ainsi l'air du I ("Che gelida manina"), chanté dans le ton, le met à mal pour la suite de l'opéra. Ajoutons à cela une tendance un peu irritante à cabotiner, que ce soit sur scène ou aux saluts.
Mais la vraie triomphatrice de la soirée est sans conteste aucun Anja Harteros. La soprano allemande montre qu'elle est une des toutes grandes. Retenez-bien son nom! Une palette de couleurs incroyablement variée, du sombre au très clair, une facilité d'émission, une puissance vocale, une homogénéité remarquable sur toute la tessiture, de l'aigu très rond au grave jamais poitriné, et surtout ce qui distingue une bonne chanteuse d'une très grande: ce (grand) plus qui fait naître une émotion indescriptible. J'avais les larmes aux yeux dès son air du I ("ma quando vien lo sgelo" interprété avec un élan irrésistible), alors imaginez le III et le IV qui m'ont laissé complètement abasourdi par cette Mimì qui n'est en rien une soubrette, ni une victime. Quelle classe sur scène! Impossible de ne pas chavirer d'émotion et d'admiration devant une artiste aussi indispensable. Comment se fait-il qu'elle soit si rare à Paris?

Décidément, les versions de concert du TCE sont absolument exceptionnelles cette année, après Wozzeck, l'acte II de Tristan, et Don Pasquale. Jamais je n'aurais cru prendre davantage de plaisir dans des versions de concerts qu'en salle avec une "mise en scène", et pourtant...

Sublime Jonas Kaufmann




Qui d'autre que Jonas Kaufmann, LE ténor du moment, pour interpréter cette page si courte et si difficile en même temps, "pont" entre le chant italien et le chant allemand? Quelle vaillance, quel sens du phrasé, quelle insolence dans les aigus, quelle beauté vocale! Un immense moment, sur le vif à Baden-Baden en 2009.

lundi 14 décembre 2009

dimanche 13 décembre 2009

Parce que c'est aussi de la "culture"...

P'Annick Massis (TCE, 4 décembre 2009)

Un bis raté d'un récital raté. Triste. N'Annick nous doit une revanche!

THE Verdi Tenor? Non, A Verdi Tenor (Récital Marcelo Alvarez "The Verdi Tenor")

Airs d'opéras de Verdi, extraits de Aida, Un ballo in maschera, Luisa Miller, La forza del destino, Il Trovatore, I Lombardi, Ernani, Don Carlo, Macbeth et Otello.

Programme ambitieux, alléchant mais "légèrement" commun pour le nouveau récital Verdi du ténor argentin Marcelo Alvarez. Un titre assez prétentieux également, pour lequel il faut blâmer certainement davantage la firme Decca que l'artiste, qui est "un" ténor verdien parmi d'autres, mais certainement pas "le" ténor verdien, même du moment.
Verdien? Je tendrais davantage à qualifier Marcelo Alvarez de chanteur "vériste", tant l'imprécision de certaines attaques, la surcharge de certains aigus, le côté appuyé de certains effets, renvoient à une esthétique qui n'est pas tellement verdienne. Au rayon des ténors, un Stefano Secco avec sa tenue stylistique irréprochable (notamment en Gabriele Adorno et surtout Don Carlo), paraît davantage mériter l'appellation "verdienne".
Mais évidemment, Marcelo Alvarez déploie dans ce récital de belles qualités: celles qu'on lui connaît, évidemment, le charme dans la voix, la couleur solaire, la musicalité, les nuances, le phrasé qui se déploie par exemple dans le "Ah si, ben mio" du Trouvère, la diction aussi. Il est en cela bien soutenu par Daniel Oren qui connaît cette musique par coeur.
Mais d'où vient cette légère frustration qui m'a envahi en écoutant ce récital? Du style, davantage vériste que verdien, je l'ai déjà dit; mais aussi d'une propension à pousser ses moyens, qui sont ceux d'un ténor lyrique, et de forcer sa voix, au risque de perdre ses qualités de timbre...Il suffit d'écouter les premières mesures de Celeste Aida pour se rendre compte que l'habit est trop large pour le chanteur. Le programme même du disque est en cause: Luisa Miller, Un ballo in maschera, Macbeth et I Lombardi paraissent des limites à ne pas dépasser pour le ténor.
Las! Il vient d'effectuer une prise de rôle très dangereuse en Andrea Chénier, qui plus est dans l'immense salle de l'Opéra Bastille. Et si le programme de ce récital reflète la volonté du chanteur en termes de rôles à aborder, il y a de quoi frémir! Sa mort d'Otello, où il assombrit artificellement son timbre, quasi barytonnant du coup, devrait le convaincre de ne pas s'y aventurer de sitôt. A signaler que le grave est aux abonnés absents de tout ce récital - preuve s'il en est que les rôles abordés (ou "à aborder) ne sont pas les bons.
Encore un ténor pour lequel je tremble!

Pour écouter ce récital: http://www.musicme.com/#/Compilation/The-Verdi-Tenor-0028947814443.html

samedi 12 décembre 2009

"Rosmersholm" ou la libération impossible (Théâtre de la Colline, 12 décembre 2009)


Belle surprise que la possibilité qui m'a été donnée, au dernier moment, d'aller voir Rosmersholm de Henrik Ibsen au théâtre de la Colline, mis en scène par Stéphane Braunschweig. Une scénographie glaçante - une salle grise avec des portraits des ancêtres, tantôt accrochés au mur, tantôt par terre, tantôt dos au mur - et minimaliste - la direction d'acteurs suit le même chemin. En définitive, ce huis-clos correspond totalement à l'univers de la pièce, à ce monde sans horizon, où les illusions prennent fin avant même de s'être déclarées, où le poids de la morale, du "sur-moi", de la pression politico-religieuse, est écrasant. Cela permet également de se concentrer plus facilement sur le texte, absolument magnifique, d'une densité et d'une sobriété extraordinaires. 2 heures 35 sans entracte (!) qui passent sans aucun problème, n'est-ce pas un exploit?


Les portraits des ancêtres règnent en maîtres sur le domaine de Rosmersholm, où "tout rire est interdit". Des fleurs pour seule décoration, bientôt des vases vides, mais ces fleurs n'étaient-elles pas des fleurs pour un enterrement? En effet, le pasteur Rosmer, maître des lieux, a perdu sa femme, Beate, qui s'est jetée de la passerelle dans l'eau froide de la mer. Pourquoi? La culpabilité ronge Rosmer: il n'a pu la protéger, il n'a pu lui donner d'enfant. Toute perspective d'avenir lui semble interdite, son seul horizon se limitant à une pièce mortifère où trônent les portraits des ancêtres, et la seule ouverture donnant sur la fameuse passerelle. Et pourtant, Rosmer va tenter d'aller de l'avant, de tourner le dos à ce passé si douloureux, si culpabilisant. Il renie sa foi, tente de s'engager en politique, mais rencontre la très vive résistance de son ami de longue date et beau-frère, Kroll, réactionnaire patenté. Dans le domaine de Rosmersholm vit également une mystérieuse femme, Rebekka West, qui le pousse à agir, est mue par la même volonté de se débarrasser du poids du passé. Rosmer propose à sa compagne d'infortune et d'ennui de devenir sa seconde femme. Celle-ci refuse tout net: elle "prendrait le même chemin que Beate". A son amour enfin avoué pour Rosmer, elle oppose sa farouche volonté d'échapper à un destin qui semble tout tracé, destin d'ennui où guette la folie. Mais ce destin la rattrape tout de même, "l'esprit de Rosmer" se manifeste sous les traits de la culpabilité: "c'est cela qui est épouvantable: maintenant que tout le bonheur de la vie m'est offert - je ne peux plus le saisir, mon passé me l'interdit". Quel passé? Peu à peu, pressée par Rosmer et par Kroll, perturbée par les rumeurs colportées par Wendel, elle avoue l'inavouable: c'est elle qui a poussé Beate du haut de la passerelle. Elle avoue mais elle ne dit pas tout, elle et sincère et elle ment en même temps. L'esprit des Rosmer, qui "paralyse la volonté", qui lui fait "perdre sa capacité d'agir", rattrape donc les deux personnages, qui l'un comme l'autre ne peuvent échapper à leur passé par leur seule volonté. Le monde des ancêtres les hante, le monde extérieur ne leur est d'aucun secours. Seule échappatoire: la mort. Pour tous les deux. Etrange paradoxe où en fuyant leur passé, les deux personnages le rejoignent! Dans une scène finale d'une intensité à couper le souffle, d'une économie de texte extraordinaire, la servante, Madame Helseth, contemple les deux compagnons d'infortune en train de s'enlacer, avant de constater avec horreur, impuissante, qu'ils se jettent dans la mer.

Une scénographie minimaliste, rendant finalement bien cette atmosphère étouffante, où toute volonté d'agir est annihilée, que ce soit par le poids des ancêtres (la culpabilité) ou par celui d'un monde extérieur réactionnaire faisant preuve d'une morale étriquée (la culpabilisation). En un mot: le poids du passé règne en maître absolu. La seule échappatoire est la mort. Ainsi, la seule ouverture dans ce huis-clos donne sur...la passerelle fatale.
On aurait apprécié une direction d'acteurs plus "dirigée", manifestement les comédiens sont laissés à leur propre jeu, les gestes sont aussi minimalistes que la scénographie, mais souvent intenses et juste, exception faite d'un Marc Susini dénotant quelque peu en Mortensgard. Claude Duparfait et Maud Le Grévellec se révèlent peu à peu dans leur rôle de Rosmer et de Rebekka, leur jeu prenant au fur et à mesure de la pièce une intensité exceptionnelle, pour culminer dans une scène finale toute de tension et de beauté sacrificielle. Une mention spéciale pour la servante extrêmement attachante, désopilante et bouleversante d'Annie Mercier, à la gestuelle fabuleuse. Et que dire de Jean-Marie Winling, qui compose, y compris dans le langage (avec beaucoup d'expressions alsaciennes), un Brendel insinuateur, véritable Méphisto, précipitant en quelques mots bien placés le destin des personnages.

Un véritable choc.

Un Andrea Chénier pas franchement révolutionnaire (Opéra Bastille, 3 décembre 2009)

Mise en scène, Giancarlo del Monaco
Décors, Carlo Centolavigna
Costume, Maria Filippi
Lumières, Wolfgang von Zoubek
Chorégraphie, Laurence Fanon

Andrea Chénier, Marcelo Alvarez
Carlo Gérard, Sergei Murzaev
Maddalena di Coigny, Micaela Carosi
Bersi, Francesca Franci
La Contessa di Coigny, Stefania Toczyska
Madelon, Maria José Montiel
Roucher, André Heyboer
Il Romanziero (Pietro Fléville), Igor Gnidii
Fouquier-Tinville, Antoine Garcin
Il Sanculotto Mathieu, David Bizic
Un Incredibile, Carlo Bosi
L’Abate, Bruno Lazzaretti
Schmidt, Ugo Rabec
Il Maestro di casa, Lucio Prete
Dumas, Guillaume Antoine

Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Paris
Chef du Chœur, Patrick Marie Aubert

Direction musicale, Daniel Oren
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J'ai surpris Pierre Bergé dire à Jack Lang, à l'entracte: "Tu vas voir, à la fin il va y avoir une ovation, les gens n'y connaissent rien!" Le fait est qu'une ovation a effectivement salué la première à l'Opéra de Paris du chef d'oeuvre de Giordano, retraçant habilement (et à sa sauce, grâce à Luigi Illica, un des librettistes favoris de Puccini) le destin du poète André Chénier, symbolisant à lui seul l'immense espoir, finalement déçu par les excès de la Terreur, soulevé par la Révolution Française, le tout conjugué d'un amour impossible entre deux personnages que d'abord tout oppose (le poète embrassant la cause révolutionnaire, provoquant l'ire de la Comtesse de Coigny, mère de Maddalena, l'héroïne) et que finalement tout réunit, la proscription (l'une est noble, l'autre modéré), l'amour et la mort dans un immene Liebestod à deux. La référence wagnérienne n'est pas interdite, dans certains détails de l'écriture orchestrale ainsi que dans le format héroïque requis par les chanteurs principaux. Il est intéressant à cet égard que le créateur du rôle titre fut le premier Siegfried italien: Giuseppe Borgatti.
Pour séduisant qu'il est, avec des airs d'un lyrisme magnétique et une écriture orchestrale très riche, cet ouvrage recèle de muliples pièges: comment représenter la Révolution Française sans éviter l'image d'Epinal? Comment retranscrire l'élan lyrique sans tomber dans la lourdeur vocale et orchestrale? Comment rendre justice à l'ambition de cette oeuvre?
Si la première d'une oeuvre aussi emblématique n'a pas atteint le rang de représentation idéale, la production présentée à l'Opéra Bastille (peut-être eût-il fallu davantage jouer sur ce symbole!) était globalement d'un très bon niveau musical, l'aspect scénique portant, une fois de plus à l'Opéra de Paris, à discussion.

Une bonne production d'opéra se doit avant tout d'être COHERENTE. Cela ne fut malheureusement pas le cas de la mise en scène de Giancarlo del Monaco (fils du grand Mario, un des meilleurs Chénier de l'Histoire), hésitant en permanence entre différentes esthétiques et différentes manières d'aborder l'oeuvre: à la distanciation décalée du tableau I, sorte de bal des morts-vivants droit sorti du Baron de Münchhausen ou de La Règle du Jeu de Renoir (avec l'automate se déréglant, symbolisement l'écroulement d'un monde), succède une sage et trop littérale illustration au II, qui se prolonge au début du III, avant de faire place à un symbolisme de bon aloi (bel effet: le tribunal révolutionnaire est situé à l'intérieur d'un théâtre en ruines, symbolisant le côté spectaculaire de la justice), pour repartir au IV dans le kitsch (une grille éclairée à la lumière phosphorescente!) et le laid. Comment juger la globalité d'une production aussi disparate?
Sa seule cohérence finalement réside en une direction d'acteurs très conventionnelle et franchement insuffisante, ne restituant pas les potentialités dramatiques de l'opéra: Où est l'insolence de Chénier au tableau I? Où est la violence de la déclaration de guerre de Gérard à l'Ancien Régime finissant? Où est l'intensité croissante de la passion entre Chénier et Maddalena, à mesure du danger encouru? Où est l'animalité de l'attirance de Gérard pour Maddalena (chacun est planté d'un côté à l'autre d'une immense table)? Où est la bravoure formidable de Chénier face à ses accusateurs? Où est l'intensité du sacrifice de Maddalena et la beauté suprême de la mort des deux héros? Autant de questions à des points qui ne vont pourtant pas chercher plus loin que le livret!!!

Dans ces conditions, toute caractérisation des personnages par les chanteurs relève de l'impossible, et c'est bien dommage, d'autant que la direction d'orchestre de Daniel Oren ne pouse pas dans ce sens, à étirer bizarrement les tempi (un début de "La mamma morta" interminable, certains temps morts...) au risque de faire chuter la tension et de mettre les chanteurs en difficulté. Ainsi, l'Improvviso ("Un dì all'azzurro spazio") de Chénier n'a jamais paru aussi improvisé, certes, mais il tombe à plat. De beaux moments cependant, où le chef paraît assez inspiré par le côté sombre, davantage que par le côté clinquant de la partition. En somme, un Daniel oren assez en contre-emploi par rapport à ce qu'il propose habituellement!

Côté chanteurs, la distribution, si elle n'est pas totalement parfaite, est globalement excellente, et l'on voit difficilement comment faire mieux actuellement, dans une oeuvre aussi difficile à distribuer.
Marcelo Alvarez, pour ses débuts très attendus dans le rôle titre, "rôle palier" cher à Nicolas Joel, laisse une impression mitigée. S'il n'a pas les moyens du rôle (écrasant), il joue de tout son charme vocal, de sa science des demi-teintes, de sa musicalité, et révèle, souvent à juste titre, qu'André Chénier était avant tout un poète subtil, cultivé, sensible et délicat. Cependant, il échoue à rendre totalement justice aux inflexions héroïques du personnage, restant en mal d'impact dans l'Improvviso, les élans amoureux du II et le duo final. Un plaidoyer magnifique lors du procès par contre ("Si, fui soldato"), soutenu en cela par le chef qui arrête quasiment son orchestre afin de ne pas gêner le ténor aux entournures. De plus, dans les passages héroïques, on peut regretter que le ténor pousse un peu trop, force un peu ses moyens, joue d'accents par trop véristes, alors que les passages poétiques sont magnifiquement réussis car laissant la voix s'épanouir. Cela fait d'autant plus regretter que le ténor argentin grossisse le son au risque d'altérer le timbre et de ne pas arriver assez "frais" lors du duo final.
Sa partenaire Micaela Carosi a réussi ses débuts à l'Opéra de Paris, imposant une Maddalena di Coigny vibrante, chaleureuse, intense, à la voix extrêmement solide, même si elle est un peu lourde pour l'écriture plus légère du I qui peint une jeune fille insouciante. Un gros impact vocal dans la salle, allant crescendo au cours de la représentation, avec une "Mamma morta" magnifique de construction musicale et technique, ce qui relève de l'authentique exploit vu le tempo adopté par Oren, et dans un duo final proprement ébouriffant. Une vraie révélation, une vraie voix et une personnalité, qui compensent largement un vibrato pas toujours parfaitement maîtrisé et un aigu forte légèrement crié.
Sergei Murzaev impressionne en Carlo Gérard, bien plus qu'il n'émeut, stature vocale à la Tom Krause, métal incroyablement percutant, aigus insolents, voix homogène sur toute la tessiture, solidité à toute épreuve. Un Gérard taillé dans le roc, un peu monolithique en contrepartie, assez terrifiant mais ne faisant pas tellement croire à l'évolution de son personnage. A déplorer un (léger) manque d'italianità chère aux puristes, qualité qui ferait de son Gérard un des tous meilleurs après Bastianini et Cappuccilli.
De bons voire de très bons seconds rôles, émergent le Mathieu magnifique vocalement de David Bizic (quel aigu!), la Madelon passionnante et émouvante de Maria José Montiel, et la Comtesse désabusée de Stefania Toczyska, déjà prête à enterrer tout son (grand) monde. D'excellents choeurs, très impressionnants d'impact et de précision lors du procès.

Pour résumer, une production tout à fait emblématique de la nouvelle ère à l'Opéra de Paris, privilégiant le chant par rapport au théâtre. Ne boudons pas notre plaisir et félicitons-nous des bonnes conditions musicales de cette entrée au répertoire, même si l'on peut déplorer l'incohérence de la mise en scène.

Eve Ruggieri craque pour Bartoli

Je ne me lasse pas de rire à gorge déployée en écoutant cette "chronique" de notre bien aimée Eve Ruggieri, ou plutôt Ruggierèèèèèèèè, qui décidément n'en loupe pas une et est manifestement tombée amoureuse de Cecilia Bartoli (ce que l'on comprend aisément par ailleurs!).
Je vous laisse juger, à 3'25:
http://www.radioclassique.tv/index.php/video-eve-ruggieri-raconte...-1679.html

Et elle recommence ici à 2'22:
http://www.radioclassique.tv/index.php/video-eve-ruggieri-raconte...-1538.html

Critique de la critique

En bon Beckmesser qui se respecte, je tâcherai d'éplucher les critiques (officielles) en cherchant la petite bête, en critiquant en quelque sorte la critique. Exercice salutaire pour faire la part des choses, se dire que finalement on est tous humains et que la critique culturelle ne peut évidemment pas prétendre à l'objectivité!
Mais certains éléments peuvent être objectifs (l'éclairage d'une expo, la qualité des cartels, pour ne pas donner d'exemple lyrique), relever du bon sens...
Je m'attacherai donc à ne pas laisser passer de bêtises dans une rubrique "nos chers journalistes" qui vaudra, je l'espère, son pesant de "gratin de fruits"...

A suivre la semaine du 14 décembre sur ce blog

Mardi 15 décembre: La Bohème de Puccini en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées, avec Vittorio Grigolo et Anja Harteros (qu'il me tarde d'entendre pour la première fois en direct live!).

Jeudi 17 décembre: récital d'Edita Gruberova au même TCE, une chanteuse mythique, si rare en France et encore si fringante! J'espère avoir l'occasion de faire participer plusieurs "grubimanes" à ce blog, notamment sur cet événement.

Sûrement une deuxième fois Andrea Chénier à l'Opéra Bastille.

Et des expos, des films, des disques, et plein de choses encore...

Ambitions démesurées

Comment, ce blog est ambitieux?!
Né d'une impression de sclérose et d'un manque d'indépendance d'une certaine critique professionnelle, ce blog a été créé pour mettre en ligne des critiques, des coups de coeur, des conseils, des coups de gueule, des bruits de couloir, des bons plans, des anecdotes, des jeux...sur tout ce qui a rapport avec la culture!

Je m'excuse par avance de la prédominance de la musique classique et principalement de l'opéra; mais je tâcherai dans ce blog de parler aussi de théâtre, de cinéma, de danse, d'expos, de photographie, de livres, de voyages, etc.

Le ton sera résolument libre et indépendant de toute collusion quelconque! Vive la confrontations d'idées, d'impressions, la différence de ressentis, l'uniformité tue!

Naissance d'un blog

Beckmesser est très heureux de vous faire part de la naissance d'un nouveau blog: chroniques d'un culturomane parisien.
Etant né après une semaine d'insomnies, ce bébé, un peu prématuré, n'est pas forcément très beau d'emblée, mais je tâcherai de le correctement et de soigner afin qu'il puisse connaître une croissance sans soucis! Place donc au "baby-shower"!