mercredi 12 octobre 2011

Un Tann's de rentrée (Tannhäuser, Opéra Bastille, 6 octobre 2011)


Sir Mark ElderDirection musicale
Robert CarsenMise en scène
Paul SteinbergDécors
Constance HoffmanCostumes
Robert Carsen, Peter Van PraetLumières
Philippe GiraudeauChorégraphie
Patrick Marie AubertChef du Choeur

Christof Fischesser Hermann Christopher Ventris Tannhäuser Stéphane Degout Wolfram von Eschenbach Stanislas De Barbeyrac Walther von der Vogelweide Tomasz Konieczny Biterolf Eric Huchet Heinrich der Schreiber Wojtek Smilek Reinmar von Zweter Nina Stemme Elisabeth Sophie Koch Venus

Orchestre et choeur de l'Opéra national de Paris

Maîtrise des Hauts-de-Seine/Choeur d'enfants de l'Opéra national de Paris

COPRODUCTION AVEC LE GRAN TEATRE DEL LICEU, BARCELONE ET LE TOKYO OPERA NOMORI



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Wagnérophile convaincu, j'ai réussi à vaincre mes réticences premières (comment se confronter au souvenir de la production avec Ozawa? comment dépasser cette mise en scène que j'avais détestée) pour aller jeter un oeil, et une oreille, à cette reprise de Tannhäuser, mise en scène (ou en espace?) par Robert Carsen. Un plateau intéressant (Stemme surtout, Ventris, Koch, Degout, Fischesser: quoi qu'on en dise, c'est du solide), et une oeuvre qui m'est chère, voilà qui devrait permettre de passer une soirée moins frustrante que lors de mes dernières sorties sous l'ère Joel.

Et pourtant...deux grosses réserves m'ont tout de suite paru évidentes:
- sur les quatre rôles principaux (Venus, Tannhäuser, Wolfram, Elisabeth), trois effectuaient leur prise de rôle...ce qui s'est vraiment entendu, surtout au Ier acte, où tout le monde était appliqué, presque trop, cherchant trop souvent ses marques et manquant d'assurance.
- La mise en scène de Carsen, malgré le fait d'avoir en 4 ans assisté à des catastrophes du genre (Mireille, Faust de Fénelon, la Donna del Lago, Francesca da Rimini, le Ring, le Trittico...), m'a paru, à part à l'acte II, et encore, assez faible, "cheap", redondante, tombant dans la facilité, en bref pénible. Elle plombe tout l'acte I, et ne rend pas l'acte III intéressant, avec des éléments absolument grotesques (les mouvements avec les pinceaux! les choristes qui saisissent des chevalets lors du choeur des pélerins...). Dans le meilleur des cas, elle ne dérange pas et indiffère, dans le pire des cas, elle gâche tout, rend le propos de l'opéra totalement trivial, "désosse" la carcasse de l'oeuvre en ne lui faisant subsister qu'un faible propos. A noter que pour bien servir la "transposition" (accrochez-vous: Tannhäuser n'est pas un chanteur, mais un peintre! quelle trouvaille!), toute référence au concours de chant, et au chant en général, est gommée par le surtitrage...Malhonnêteté, quand tu nous tiens! En bref, on en reste au même souvenir qu'il y a 4 ans, où la première, "gâchée" par une énième grève, et jouée dans une lumière bleutée, avec pour seuls accessoires un lit et une harpe, avait été paradoxalement un pur moment de magie...Quelques jours plus tard, avec la mise en scène en définitive peu inspirée, cette magie s'était évaporée.

Du coup, l'acte I n'a pas vraiment décollé, certains diront même qu'il s'agissait d'un long tunnel. L'ouverture à l'orchestre était franchement mauvaise, incertaine, sans progression dramatique, avec des textures peu assurées, sinon dans une sorte de bouillie indigeste. Par contre, à partir de la fin de la Bacchanale, la direction de Mark Elder est paru plus intéressante, avec de belles couleurs trouvées dans les passages plus sensuels, globalement une attention aux chanteurs plutôt bonne, même si certains tempi trop lent les mettait par moment en difficulté. On peut tout de même beaucoup regretter de grosses chutes de tension, pas seulement à l'acte I, et un manque de vision d'ensemble: par moment, le son était dense, le chef "concerné", parfois il semblait très extérieur, ne parvenant pas à donner le souffle nécessaire à l'oeuvre, à se dépêtrer de problèmes d'équilibre sonore, à vraiment soutenir les climax de l'oeuvre, avec un final comme inachevé. Un son globalement généreux, de beaux passages (comme un prélude du III en apesanteur), ne font pas oublier une impression de routine.

Détaillons maintenant les prestations des chanteurs dans l'ordre d'apparition:

Sophie Koch fait du Koch, appliquée, attentive vocalement, à la limite de l'attentisme, tant elle semble précautionneuse. Il faut dire qu'elle n'a pas exactement la tessiture longue et la voix large exigée par Venus: graves inexistants, médium peu audible, aigus pas toujours dans la lignée du reste de la voix, phrasés parfois entrecoupés de respirations malvenues. De plus, elle est difficile à regarder sur scène, d'autant que le personnage qu'elle dessine (c'est le cas de le dire!) est dépourvu de sensualité, d'érotisme, ce qui est tout de même problématique en Venus. Des moments de beau chant, mais trop souvent premier degré pour être vraiment intéressant. Pas de quoi là non plus faire oublier la sensationnelle Béatrice Uria-Monzon, envoûtant tout Bastille il y a 4 ans.

Je me demande toujours comment Christopher Ventris a fait pour arriver au bout du rôle. Et pourtant, au début, j'ai été agréablement surpris d'entendre un ténor lyrique chanter Tannhäuser avec autant de style, de clarté, de coeur. Le problème est que le rôle est long, lourd, tendu, en quelques mots trop difficile pour lui. Dès les premiers écueils, il plie, il rompt parfois (à la fin du I), et on se demande à chaque acte s'il va finir entier. La fin de l'acte II est un long calvaire, qui le voit esquiver pas mal de phrases dans le grand ensemble, passer en voix de tête pour éviter de craquer certains sons, à la limite de la rupture totale. Fort heureusement pour lui, le III est un peu meilleur, alors qu'un effondrement lors du récit de Rome était à craindre.
La prestation de Ventris cause en définitive deux soucis majeurs:
- les climax de chaque acte se voient comme rabotés: là où Tannhäuser devrait tout dominer, solistes, choeur et orchestre, de sa voix, c'est précisément où on l'entend le moins...
- concentré sur ses propres difficultés vocales, le chanteur cherche à se tenir comme il peut pour émettre ses aigus, ce qui l'empêche de composer un personnage crédible, scéniquement et musicalement.

Stéphane Degout est fidèle à sa réputation, et construit pierre après pierre ce qui commence à ressembler à une très belle carrière. Son Wolfram est précis, châtié, très musical, d'une probité absolue, mais j'ai une (très petite) réserve: je le troue un peu trop appliqué, manquant d'abandon, de mystère, pour le rôle d'un poète. Il est vrai que Carsen souligne le fait qu'il est le poète d'une beauté "parfaite", abstraite, sans chair...Gageons que ce n'est qu'un "problème" (et encore) de prise de rôle, que l'aisance qu'il aura avec le temps lui permettra de devenir un grand Wolfram, élégiaque, ambivalent, vibrant. Il en a les moyens.

Nina Stemme était très attendue pour ses débuts (enfin!!!) à l'Opéra de Paris. La voix est admirable, large sans perdre en souplesse, superbement projetée, très bien ancrée dans le corps, les aigus sont dardés, la présence vocale et le style sont plus qu'au rendez-vous: son "dich, teure Halle" est le premier moment vraiment wagnérien de la soirée. On joue clairement dans une autre cour, MAIS est-elle réellement Elisabeth? Vocalement, comme scéniquement, elle paraît un peu mûre, davantage une Walkyrie qu'une sainte, manquant de cette fougue de la jeunesse, de cette féminité ardente qu'avait Eva-Maria Westbroek il y a 4 ans. Autre grosse réserve de ma part: elle sur-appuie et sur-joue tout scéniquement, de l'extase de retrouver la "teure Halle". Quand elle cherche Tannhäuser parmi les pélerins, elle traduit son inquiétude et sa quête par une bizarre envie d'en découdre avec chacun, effectuant une sorte de "break-dance-karaté" d'un très mauvais effet...si ce n'est de me faire beaucoup rire! Magnifique vocalement (elle peut même se permettre encore de très belles nuances), mais scéniquement à côté de la plaque.

Le reste du plateau est dans la bonne moyenne, Christof Fischesser, toujours aussi élégant, étant un peu juste vocalement pour une salle comme Bastille, pour un rôle globalement plus aigu que les autres basses wagnériennes. Du coup, le timbre sonnait moins charnu, plus élimé qu'à Lyon lors du légendaire Tristan.
Le choeur était concerné, dense, percutant, parfois un peu trop (lors de l'arrivée des hôtes, on aurait aimé qu'il ne donne pas tout, tout de suite!), réservant de beaux moments, malgré quelques imprécisions et décalages.

Quant au public, il a bien accueilli la première de cette reprise, beaucoup de monde applaudissant debout à la fin (il ne faut pas exagérer non plus!). L'acte II a été le plus applaudi, grâce au choeur et au magnifique ensemble final. Quant aux chanteurs, sans surprise l'ovation la plus marquée a été réservée à Nina Stemme, Stéphane Degout, Sophie Koch et Christopher Ventris étant très bien accueillis.

Au final, une bonne soirée, parce que c'est Tannhäuser et que le plateau n'était pas si mal, mais à aucun moment, si ce n'est aux déchirants (et déchirés) "Erbarm'dich mein" de Tannhäuser à l'acte II, on n'est pris par l'émotion, qui affleurait aux moindres moments dans la direction d'Ozawa et la performance du plateau il y a 4 ans. Pas de grand frisson, pas de magie, en définitive, une bonne impression de routine, qui aurait été totale sans la formidable et authentiquement wagnérienne Nina Stemme.