dimanche 21 novembre 2010

Le jour et la nuit (Jonas Kaufmann, "Die schöne Müllerin" - Théâtre des Champs-Elysées, 14 octobre 2010)


Jonas Kaufmann, ténor
Helmut Deutsch, piano

Schubert: Die schöne Müllerin

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CONTRASTE(S). C'est le maître-mot de cette soirée à vrai dire curieuse. Longtemps, grâce à mes "informateurs", j'ai craint une annulation du ténor du moment, qui avait eu lieu pour le même programme à Berlin puis à Barcelone la semaine précédant ce concert parisien. Concert curieusement placé dans le programme "les grandes voix", drainant un public sûrement venu écouter un récital lyrique et non un Liederabend, au vu de l'ovation au début et de l'attitude quelque peu "extérieure" dont il a fait preuve tout au long de la soirée: tentatives d'applaudissements intempestifs entre certains Lieder, et surtout applaudissement finaux (et après les rappels) n'attendant pas que le pianiste pose sa dernière note sur le clavier...Une attitude contrastant singulièrement avec l'intériorité exigée par une soirée de Lieder. Qu'importe! Des personnes venant écouter du Puccini ont écouté une heure et demi durant du Schubert, c'est toujours ça!

Venons-en au récital lui-même. Confirmant nos craintes initiales, Jonas Kaufmann apparaît peu à son aise, dans la voix comme dans l'attitude; pâle, les traits tirés, on devine qu'il ne tient pas la grande forme. Cela se confirme dès les premiers Lieder où l'émission est gênée aux entournures, le volume réduit, la couleur uniformément grise, les accidents et petites anicroches pas absentes (ce qui est très rare avec ce chanteur qui, s'il ne m'émeut pas toujours, atteint régulièrement des sommets de perfection vocale). Mais il était dit que cette soirée n'allait pas se finir comme elle allait commencer. D'un coup, d'après moi, Jonas Kaufmann tente son va-tout, qu'à cela ne tienne: il ose davantage de nuances, de couleurs, paraît plus à l'aise par l'écriture (la tessiture monte un peu, les Lieder non strophiques lui donnent plus de liberté), et peu à peu, l'émotion affleure, la dimension du concert change du tout au tout, vers un Trockne Blumen d'une intériorité superbe et un Des Baches Wiegenlied qu'on n'a jamais vu aller aussi loin, quasi une résignation suicidaire. Et là, on se dit qu'on a affaire à un artiste exceptionnel, capable de sublimer sa méforme (purement physique, à n'en pas douter) du moment, de l'utiliser afin de faire naître autre chose. N'est-ce pas l'essence même de l'artiste, de faire naître de l'imprévu, de l'aléatoire, de l'impalpable? Jonas Kaufmann, que je trouve parfois trop "formaté", trop prévisible, m'a peut-être plus impressionné ce soir-là qu'à aucun autre soir...

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