samedi 20 mars 2010

Routine absolue (Don Carlo, Opéra Bastille, 2 mars 2010)


Carlo RizziDirection musicale
Graham VickMise en scène
Tobias HoheiselDécors et costumes
Matthew RichardsonLumières
Patrick Marie AubertChef du Chœur

Giacomo Prestia Filippo II Stefano Secco Don Carlo Ludovic Tézier Rodrigo, marchese di Posa Victor Von Halem Il Grande Inquisitore Balint Szabo Un Frate Sondra Radvanovsky Elisabetta di Valois Luciana D’Intino La Principessa Eboli Jason Bridges Il Conte di Lerma

Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris


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Reprise régulièrement depuis sa création en 1998 (avec Neil Shicoff dans le rôle titre, Carol Vaness, Dolora Zajick et Samuel Ramey entre autres), la production de Don Carlo de Graham Vick, reprise sans aucune direction d'acteur, a l'air d'une coquille vide et a fait son temps esthétiquement. Si la scène initiale, avec des cierges formant une grande croix, fait son effet, le reste de la production oscille entre le sans intérêt et le laid. Il serait grand temps que l'Opéra de Paris mette sur place une nouvelle production de ce chef d'oeuvre de Verdi, qui plus est en 5 actes et en français...Est-ce trop demander de revenir à la version de la création dans la ville de la création de cet opéra monumental?


Pour faire vivre cette production, il aurait fallu des chanteurs charismatiques et un chef inspiré (ce qui était le cas de Currentzis il y a 2 ans): or ce n'était pas le cas, surtout du côté du chef, que des chanteurs certes plutôt solides dans une distribution homogène, n'ont que partiellement rattrapé.


Carlo Rizzi dirige Don Carlo comme on dirigerait (mal) un Verdi de jeunesse: ça avance sans discernement, les tempi sont généralement trop rapides, parfois étonnamment lents (l'introduction de la "Chanson du voile"). Surtout, il n'y a aucune continuité du discours musical, comme si tout était traité comme une succession de numéros: les transitions, ralentissements, silences, sont à chaque fois ratés. Il n'y a aucune nuance, si ce n'est le forte, aucune variation de dynamique, aucune poésie (les introductions orchestrales, de toute beauté, sont expédiées à la va-vite), aucune hauteur de vue - tout dans cette direction d'orchestre est d'un prosaïsme vraiment inadapté, incapable de mettre en valeur les splendeurs de la partition. A cela s'ajoute un manque d'attention aux chanteurs assez flagrant, au niveau du rythme comme du volume (les chanteurs sont régulièrement couverts). En résumé, il n'y a pas grand chose à sauver dans cette direction d'orchestre qui fait tout retomber à plat.


Du côté des chanteurs, on était dans la bonne routine, le plateau étant solide, plus homogène qu'il y a 2 ans, mais sans génie et sans frisson.

Dans le rôle-titre, Stefano Secco ne renouvelle que partiellement le miracle d'il y a deux ans. Cette fois-ci, le costume était vraiment un peu large pour lui, peut-être du fait d'un meilleur entourage: il est parfois un peu en difficulté, lors de son entrée à l'acte I, puis dans le duo final, mais il reste de très belles choses, au niveau du phrasé, du style et des nuances, qu'il est un des seuls à tenter.

Sondra Radvanovsky laisse une impression partagée, car elle chante faux pratiquement tout du long, sauf dans l'aigu à partir du la, surtout dans l'aigu piano, qu'elle est obligée de bien placer, et sauf dans un très beau "tu che le vanità" qui montre qu'elle possède exactement les moyens du rôle. A cela s'ajoute une ardeur et une féminité bienvenues, qui font exister son personnage vocalement, sinon scéniquement, malgré un vibratello assez présent, qui peut en gêner plus d'un.

Ludovic Tézier fait une entrée en scène fracassante, de par son volume, sa projection arrogante, sa prestance, mais il devient vite monotone, brâmant en permanence avec son grain sombre dans la voix. Peu à peu, à force de grossir dans le médium, et d'aboyer lorsque le rythme se faisaient rapide, les aigus ont commencé à se défiler (à la fin du duo Posa-Philippe II), et la punition ne s'est pas fait attendre, dans le trio de l'acte II, avec un immense craquement. Il s'est bien rattrapé dans une mort superbe, mais trop narcissique, à ne pas respirer, à montrer ses possibilités vocales, trop extérieure aussi, pas assez vécue, et donc pas émouvante.

Giacomo Prestia repose de Furlanetto (!), avec de beaux graves bien creusés, un beau sens du phrasé, mais un aigu qui se trouve vit envahit d'un bon vibrato, une monotonie certaine dans l'interprétation, et une émission bizarre, assez pâteuse, avec tous les "a" transformés en "ô" dans le haut de la tessiture. Malheureusement pour lui, les phrases de la scène de l'autodafé ("nel posar sul mio capo la corona") le mettent en difficulté pour la suite du rôle: ainsi, il se trouve incapable d'alléger son émission sans craquer au début de son célébrissime monologue de l'acte III.

Luciana d'Intino est l'exemple-même de tout ce qu'il ne faut pas faire en Eboli: des attaques "gloussées", des registres incroyablement désunis (l'aigu en arrière, le médium écrasé, tous les graves systématiquement poitrinés de la plus grossière des façons), une façon de se tenir sur scène, d'accentuer certaines notes et intentions, de phraser d'un autre temps, celui de la tradition vériste dans ce qu'elle a de plus caricatural. Et pourtant, elle fait preuve, malgré cette extrême vulgarité, d'un aplomb phénoménal, si bien que le redoutable "O don fatale" paraît une formalité pour elle. Mais le métier ne compense pas tout.

Quant à Victor von Halem, il manque d'impact en Grand Inquisiteur, avec une émission écrasée, très germanique.


Une mise en scène vidée de sa substance, des chanteurs solides mais sans génie, un chef catastrophique: les ingrédients d'une soirée très oubliable, qui ne sert pas vraiment le chef d'oeuvre qu'est Don Carlo.

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