samedi 12 décembre 2009

"Rosmersholm" ou la libération impossible (Théâtre de la Colline, 12 décembre 2009)


Belle surprise que la possibilité qui m'a été donnée, au dernier moment, d'aller voir Rosmersholm de Henrik Ibsen au théâtre de la Colline, mis en scène par Stéphane Braunschweig. Une scénographie glaçante - une salle grise avec des portraits des ancêtres, tantôt accrochés au mur, tantôt par terre, tantôt dos au mur - et minimaliste - la direction d'acteurs suit le même chemin. En définitive, ce huis-clos correspond totalement à l'univers de la pièce, à ce monde sans horizon, où les illusions prennent fin avant même de s'être déclarées, où le poids de la morale, du "sur-moi", de la pression politico-religieuse, est écrasant. Cela permet également de se concentrer plus facilement sur le texte, absolument magnifique, d'une densité et d'une sobriété extraordinaires. 2 heures 35 sans entracte (!) qui passent sans aucun problème, n'est-ce pas un exploit?


Les portraits des ancêtres règnent en maîtres sur le domaine de Rosmersholm, où "tout rire est interdit". Des fleurs pour seule décoration, bientôt des vases vides, mais ces fleurs n'étaient-elles pas des fleurs pour un enterrement? En effet, le pasteur Rosmer, maître des lieux, a perdu sa femme, Beate, qui s'est jetée de la passerelle dans l'eau froide de la mer. Pourquoi? La culpabilité ronge Rosmer: il n'a pu la protéger, il n'a pu lui donner d'enfant. Toute perspective d'avenir lui semble interdite, son seul horizon se limitant à une pièce mortifère où trônent les portraits des ancêtres, et la seule ouverture donnant sur la fameuse passerelle. Et pourtant, Rosmer va tenter d'aller de l'avant, de tourner le dos à ce passé si douloureux, si culpabilisant. Il renie sa foi, tente de s'engager en politique, mais rencontre la très vive résistance de son ami de longue date et beau-frère, Kroll, réactionnaire patenté. Dans le domaine de Rosmersholm vit également une mystérieuse femme, Rebekka West, qui le pousse à agir, est mue par la même volonté de se débarrasser du poids du passé. Rosmer propose à sa compagne d'infortune et d'ennui de devenir sa seconde femme. Celle-ci refuse tout net: elle "prendrait le même chemin que Beate". A son amour enfin avoué pour Rosmer, elle oppose sa farouche volonté d'échapper à un destin qui semble tout tracé, destin d'ennui où guette la folie. Mais ce destin la rattrape tout de même, "l'esprit de Rosmer" se manifeste sous les traits de la culpabilité: "c'est cela qui est épouvantable: maintenant que tout le bonheur de la vie m'est offert - je ne peux plus le saisir, mon passé me l'interdit". Quel passé? Peu à peu, pressée par Rosmer et par Kroll, perturbée par les rumeurs colportées par Wendel, elle avoue l'inavouable: c'est elle qui a poussé Beate du haut de la passerelle. Elle avoue mais elle ne dit pas tout, elle et sincère et elle ment en même temps. L'esprit des Rosmer, qui "paralyse la volonté", qui lui fait "perdre sa capacité d'agir", rattrape donc les deux personnages, qui l'un comme l'autre ne peuvent échapper à leur passé par leur seule volonté. Le monde des ancêtres les hante, le monde extérieur ne leur est d'aucun secours. Seule échappatoire: la mort. Pour tous les deux. Etrange paradoxe où en fuyant leur passé, les deux personnages le rejoignent! Dans une scène finale d'une intensité à couper le souffle, d'une économie de texte extraordinaire, la servante, Madame Helseth, contemple les deux compagnons d'infortune en train de s'enlacer, avant de constater avec horreur, impuissante, qu'ils se jettent dans la mer.

Une scénographie minimaliste, rendant finalement bien cette atmosphère étouffante, où toute volonté d'agir est annihilée, que ce soit par le poids des ancêtres (la culpabilité) ou par celui d'un monde extérieur réactionnaire faisant preuve d'une morale étriquée (la culpabilisation). En un mot: le poids du passé règne en maître absolu. La seule échappatoire est la mort. Ainsi, la seule ouverture dans ce huis-clos donne sur...la passerelle fatale.
On aurait apprécié une direction d'acteurs plus "dirigée", manifestement les comédiens sont laissés à leur propre jeu, les gestes sont aussi minimalistes que la scénographie, mais souvent intenses et juste, exception faite d'un Marc Susini dénotant quelque peu en Mortensgard. Claude Duparfait et Maud Le Grévellec se révèlent peu à peu dans leur rôle de Rosmer et de Rebekka, leur jeu prenant au fur et à mesure de la pièce une intensité exceptionnelle, pour culminer dans une scène finale toute de tension et de beauté sacrificielle. Une mention spéciale pour la servante extrêmement attachante, désopilante et bouleversante d'Annie Mercier, à la gestuelle fabuleuse. Et que dire de Jean-Marie Winling, qui compose, y compris dans le langage (avec beaucoup d'expressions alsaciennes), un Brendel insinuateur, véritable Méphisto, précipitant en quelques mots bien placés le destin des personnages.

Un véritable choc.

Un Andrea Chénier pas franchement révolutionnaire (Opéra Bastille, 3 décembre 2009)

Mise en scène, Giancarlo del Monaco
Décors, Carlo Centolavigna
Costume, Maria Filippi
Lumières, Wolfgang von Zoubek
Chorégraphie, Laurence Fanon

Andrea Chénier, Marcelo Alvarez
Carlo Gérard, Sergei Murzaev
Maddalena di Coigny, Micaela Carosi
Bersi, Francesca Franci
La Contessa di Coigny, Stefania Toczyska
Madelon, Maria José Montiel
Roucher, André Heyboer
Il Romanziero (Pietro Fléville), Igor Gnidii
Fouquier-Tinville, Antoine Garcin
Il Sanculotto Mathieu, David Bizic
Un Incredibile, Carlo Bosi
L’Abate, Bruno Lazzaretti
Schmidt, Ugo Rabec
Il Maestro di casa, Lucio Prete
Dumas, Guillaume Antoine

Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Paris
Chef du Chœur, Patrick Marie Aubert

Direction musicale, Daniel Oren
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J'ai surpris Pierre Bergé dire à Jack Lang, à l'entracte: "Tu vas voir, à la fin il va y avoir une ovation, les gens n'y connaissent rien!" Le fait est qu'une ovation a effectivement salué la première à l'Opéra de Paris du chef d'oeuvre de Giordano, retraçant habilement (et à sa sauce, grâce à Luigi Illica, un des librettistes favoris de Puccini) le destin du poète André Chénier, symbolisant à lui seul l'immense espoir, finalement déçu par les excès de la Terreur, soulevé par la Révolution Française, le tout conjugué d'un amour impossible entre deux personnages que d'abord tout oppose (le poète embrassant la cause révolutionnaire, provoquant l'ire de la Comtesse de Coigny, mère de Maddalena, l'héroïne) et que finalement tout réunit, la proscription (l'une est noble, l'autre modéré), l'amour et la mort dans un immene Liebestod à deux. La référence wagnérienne n'est pas interdite, dans certains détails de l'écriture orchestrale ainsi que dans le format héroïque requis par les chanteurs principaux. Il est intéressant à cet égard que le créateur du rôle titre fut le premier Siegfried italien: Giuseppe Borgatti.
Pour séduisant qu'il est, avec des airs d'un lyrisme magnétique et une écriture orchestrale très riche, cet ouvrage recèle de muliples pièges: comment représenter la Révolution Française sans éviter l'image d'Epinal? Comment retranscrire l'élan lyrique sans tomber dans la lourdeur vocale et orchestrale? Comment rendre justice à l'ambition de cette oeuvre?
Si la première d'une oeuvre aussi emblématique n'a pas atteint le rang de représentation idéale, la production présentée à l'Opéra Bastille (peut-être eût-il fallu davantage jouer sur ce symbole!) était globalement d'un très bon niveau musical, l'aspect scénique portant, une fois de plus à l'Opéra de Paris, à discussion.

Une bonne production d'opéra se doit avant tout d'être COHERENTE. Cela ne fut malheureusement pas le cas de la mise en scène de Giancarlo del Monaco (fils du grand Mario, un des meilleurs Chénier de l'Histoire), hésitant en permanence entre différentes esthétiques et différentes manières d'aborder l'oeuvre: à la distanciation décalée du tableau I, sorte de bal des morts-vivants droit sorti du Baron de Münchhausen ou de La Règle du Jeu de Renoir (avec l'automate se déréglant, symbolisement l'écroulement d'un monde), succède une sage et trop littérale illustration au II, qui se prolonge au début du III, avant de faire place à un symbolisme de bon aloi (bel effet: le tribunal révolutionnaire est situé à l'intérieur d'un théâtre en ruines, symbolisant le côté spectaculaire de la justice), pour repartir au IV dans le kitsch (une grille éclairée à la lumière phosphorescente!) et le laid. Comment juger la globalité d'une production aussi disparate?
Sa seule cohérence finalement réside en une direction d'acteurs très conventionnelle et franchement insuffisante, ne restituant pas les potentialités dramatiques de l'opéra: Où est l'insolence de Chénier au tableau I? Où est la violence de la déclaration de guerre de Gérard à l'Ancien Régime finissant? Où est l'intensité croissante de la passion entre Chénier et Maddalena, à mesure du danger encouru? Où est l'animalité de l'attirance de Gérard pour Maddalena (chacun est planté d'un côté à l'autre d'une immense table)? Où est la bravoure formidable de Chénier face à ses accusateurs? Où est l'intensité du sacrifice de Maddalena et la beauté suprême de la mort des deux héros? Autant de questions à des points qui ne vont pourtant pas chercher plus loin que le livret!!!

Dans ces conditions, toute caractérisation des personnages par les chanteurs relève de l'impossible, et c'est bien dommage, d'autant que la direction d'orchestre de Daniel Oren ne pouse pas dans ce sens, à étirer bizarrement les tempi (un début de "La mamma morta" interminable, certains temps morts...) au risque de faire chuter la tension et de mettre les chanteurs en difficulté. Ainsi, l'Improvviso ("Un dì all'azzurro spazio") de Chénier n'a jamais paru aussi improvisé, certes, mais il tombe à plat. De beaux moments cependant, où le chef paraît assez inspiré par le côté sombre, davantage que par le côté clinquant de la partition. En somme, un Daniel oren assez en contre-emploi par rapport à ce qu'il propose habituellement!

Côté chanteurs, la distribution, si elle n'est pas totalement parfaite, est globalement excellente, et l'on voit difficilement comment faire mieux actuellement, dans une oeuvre aussi difficile à distribuer.
Marcelo Alvarez, pour ses débuts très attendus dans le rôle titre, "rôle palier" cher à Nicolas Joel, laisse une impression mitigée. S'il n'a pas les moyens du rôle (écrasant), il joue de tout son charme vocal, de sa science des demi-teintes, de sa musicalité, et révèle, souvent à juste titre, qu'André Chénier était avant tout un poète subtil, cultivé, sensible et délicat. Cependant, il échoue à rendre totalement justice aux inflexions héroïques du personnage, restant en mal d'impact dans l'Improvviso, les élans amoureux du II et le duo final. Un plaidoyer magnifique lors du procès par contre ("Si, fui soldato"), soutenu en cela par le chef qui arrête quasiment son orchestre afin de ne pas gêner le ténor aux entournures. De plus, dans les passages héroïques, on peut regretter que le ténor pousse un peu trop, force un peu ses moyens, joue d'accents par trop véristes, alors que les passages poétiques sont magnifiquement réussis car laissant la voix s'épanouir. Cela fait d'autant plus regretter que le ténor argentin grossisse le son au risque d'altérer le timbre et de ne pas arriver assez "frais" lors du duo final.
Sa partenaire Micaela Carosi a réussi ses débuts à l'Opéra de Paris, imposant une Maddalena di Coigny vibrante, chaleureuse, intense, à la voix extrêmement solide, même si elle est un peu lourde pour l'écriture plus légère du I qui peint une jeune fille insouciante. Un gros impact vocal dans la salle, allant crescendo au cours de la représentation, avec une "Mamma morta" magnifique de construction musicale et technique, ce qui relève de l'authentique exploit vu le tempo adopté par Oren, et dans un duo final proprement ébouriffant. Une vraie révélation, une vraie voix et une personnalité, qui compensent largement un vibrato pas toujours parfaitement maîtrisé et un aigu forte légèrement crié.
Sergei Murzaev impressionne en Carlo Gérard, bien plus qu'il n'émeut, stature vocale à la Tom Krause, métal incroyablement percutant, aigus insolents, voix homogène sur toute la tessiture, solidité à toute épreuve. Un Gérard taillé dans le roc, un peu monolithique en contrepartie, assez terrifiant mais ne faisant pas tellement croire à l'évolution de son personnage. A déplorer un (léger) manque d'italianità chère aux puristes, qualité qui ferait de son Gérard un des tous meilleurs après Bastianini et Cappuccilli.
De bons voire de très bons seconds rôles, émergent le Mathieu magnifique vocalement de David Bizic (quel aigu!), la Madelon passionnante et émouvante de Maria José Montiel, et la Comtesse désabusée de Stefania Toczyska, déjà prête à enterrer tout son (grand) monde. D'excellents choeurs, très impressionnants d'impact et de précision lors du procès.

Pour résumer, une production tout à fait emblématique de la nouvelle ère à l'Opéra de Paris, privilégiant le chant par rapport au théâtre. Ne boudons pas notre plaisir et félicitons-nous des bonnes conditions musicales de cette entrée au répertoire, même si l'on peut déplorer l'incohérence de la mise en scène.

Eve Ruggieri craque pour Bartoli

Je ne me lasse pas de rire à gorge déployée en écoutant cette "chronique" de notre bien aimée Eve Ruggieri, ou plutôt Ruggierèèèèèèèè, qui décidément n'en loupe pas une et est manifestement tombée amoureuse de Cecilia Bartoli (ce que l'on comprend aisément par ailleurs!).
Je vous laisse juger, à 3'25:
http://www.radioclassique.tv/index.php/video-eve-ruggieri-raconte...-1679.html

Et elle recommence ici à 2'22:
http://www.radioclassique.tv/index.php/video-eve-ruggieri-raconte...-1538.html

Critique de la critique

En bon Beckmesser qui se respecte, je tâcherai d'éplucher les critiques (officielles) en cherchant la petite bête, en critiquant en quelque sorte la critique. Exercice salutaire pour faire la part des choses, se dire que finalement on est tous humains et que la critique culturelle ne peut évidemment pas prétendre à l'objectivité!
Mais certains éléments peuvent être objectifs (l'éclairage d'une expo, la qualité des cartels, pour ne pas donner d'exemple lyrique), relever du bon sens...
Je m'attacherai donc à ne pas laisser passer de bêtises dans une rubrique "nos chers journalistes" qui vaudra, je l'espère, son pesant de "gratin de fruits"...

A suivre la semaine du 14 décembre sur ce blog

Mardi 15 décembre: La Bohème de Puccini en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées, avec Vittorio Grigolo et Anja Harteros (qu'il me tarde d'entendre pour la première fois en direct live!).

Jeudi 17 décembre: récital d'Edita Gruberova au même TCE, une chanteuse mythique, si rare en France et encore si fringante! J'espère avoir l'occasion de faire participer plusieurs "grubimanes" à ce blog, notamment sur cet événement.

Sûrement une deuxième fois Andrea Chénier à l'Opéra Bastille.

Et des expos, des films, des disques, et plein de choses encore...

Ambitions démesurées

Comment, ce blog est ambitieux?!
Né d'une impression de sclérose et d'un manque d'indépendance d'une certaine critique professionnelle, ce blog a été créé pour mettre en ligne des critiques, des coups de coeur, des conseils, des coups de gueule, des bruits de couloir, des bons plans, des anecdotes, des jeux...sur tout ce qui a rapport avec la culture!

Je m'excuse par avance de la prédominance de la musique classique et principalement de l'opéra; mais je tâcherai dans ce blog de parler aussi de théâtre, de cinéma, de danse, d'expos, de photographie, de livres, de voyages, etc.

Le ton sera résolument libre et indépendant de toute collusion quelconque! Vive la confrontations d'idées, d'impressions, la différence de ressentis, l'uniformité tue!

Naissance d'un blog

Beckmesser est très heureux de vous faire part de la naissance d'un nouveau blog: chroniques d'un culturomane parisien.
Etant né après une semaine d'insomnies, ce bébé, un peu prématuré, n'est pas forcément très beau d'emblée, mais je tâcherai de le correctement et de soigner afin qu'il puisse connaître une croissance sans soucis! Place donc au "baby-shower"!