samedi 16 janvier 2010

TOP 10: 4.Wozzeck au TCE (version de concert)



Un Wozzeck à peine deux semaines après celui proposé à l'Opéra Bastille, qui plus est en version de concert, voilà qui prouvait une fois de plus le manque de concertation (ou la concurrence?) des salles parisiennes! Cela faisait beaucoup pour de nombreuses personnes, qui du coup ont laissé un Théâtre des Champs-Elysées à moitié vide... Ils doivent s'en mordre les doigts! Cette version de concert fut absolument mémorable, avec celui qui fit ses débuts dans le rôle l'an dernier à l'Opéra Bastille: Simon Keenlyside, qui a tout compris au rôle, et fait totalement oublier le fait qu'il est en smoking de concert, tant il habite le personnage, tourmenté, rongé de l'intérieur, voire ravagé, avec une arrogance vocale exceptionnelle! A ses côtés, de belles incarnations, la Marie de Katharina Dalayman, voix ronde sur toute la tessiture, un peu trop monocorde cependant, et pas aussi profondément dans son personnage que Keenlyside; retenons surtout le Capitaine de Peter Hoare, insinuateur et ambigu, et le Docteur à l'incroyable prestance de Hans-Martin Scheidegger. Mais c'est surtout la direction d'orchestre d'Esa-Pekka Salonen qu'il fallait retenir, en plus de l'incarnation du rôle-titre: une direction d'une clarté exceptionnelle, faisant ressortir toutes les subtilités de la partition, avec un sens théâtral et une émotion extraordinaires! Il suffisait de voir le silence de 30 secondes observé par le (traditionnellement dissipé) public parisien à la fin de l'opéra, pour se rendre compte qu'il se passait vraiment quelque chose!

Jonas Kaufmann, incarnation idéale du héros romantique (Werther, Opéra Bastille, 14 janvier 2010)



Michel Plasson Direction musicale
Benoît Jacquot Mise en scène
Charles Edwards Décors
Christian Gasc Costumes
André Diot Lumières (d'après les lumières originales de Charles Edwards)


Jonas Kaufmann Werther
Ludovic Tézier Albert
Alain Vernhes Le Bailli
Andreas Jäggi Schmidt
Christian Tréguier Johann
Sophie Koch Charlotte
Anne-Catherine Gillet Sophie


Orchestre de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des hauts-de-seine ⁄ chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Production originale du Royal Opera House, Covent Garden, Londres (2004), propriété de l'Opéra national de Paris

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Lorsqu'il apparaît pendant le Prélude, cheveux longs bouclés, lunettes feutrées, geste hésitant, s'imprégnant de l'atmosphère des lieux, on se dit que Jonas Kaufmann EST Werther. Et pourtant, il n'a pas encore ouvert la bouche! On a devant les yeux le héros romantique cher à Goethe mais aussi à d'autres romantiques comme Caspar David Friedrich ou Franz Schubert: le Wanderer. Cet homme errant trouve dans la maison du Bailli à la fois le terme de son voyage, et les raisons d'une nouvelle période d'errance, en tombant amoureux de Charlotte, la fille du Bailli, promise hélas à un autre, Albert. On devine qu'une issue heureuse est impossible, mais on se prend tour à tour à rêver, à désespérer, à renoncer, à se battre, à envisager la mort, à l'unisson avec cette incarnation idéale du héros romantique, de celui des prémisses allemandes du romantisme: un héros rêveur, tout en intériorité, pudique, et non un hystérique aux passions débridées.
Dès qu'il ouvre la bouche, l'on sent que l'on a affaire à un Werther absolument exceptionnel. Quelle finesse interprétative! La voix se pare de mille nuances, de mille couleurs, pour se fondre dans la masse orchestrale avec délice, comme le héros se fond dans la nature luxuriante. Après une entrée sur le fil, absolument inouïe de phrasé, le miracle se reproduit à chaque instant où Jonas Kaufmann est sur scène: il se passe quelque chose à chaque phrase. Jamais on n'avait entendu une telle musicalité, une telle finesse d'orfèvre musical, jamais on n'avait entendu - a forciori dans le grand vaisseau de l'Opéra Bastille - de tels risques en termes de nuances (des phrases pianissimo, des aigus diminuendo...) jamais gratuites ou démonstratives. Il est vrai que Jonas Kaufmann a une telle maîtrise technique qu'à aucun moment, ce qui paraît un risque insensé pour d'autres, ne paraît un risque pour lui. Et à aucun moment, la partition ne paraît difficile, alors qu'elle est truffée de pièges, et a joué des tours à plus d'un ténor. La voix, en plus d'être parfaitement maîtrisée par une technique bluffante, est toujours aussi belle, sombre dans le grave et le médium, éclatante dans l'aigu, toujours aussi facile. Et l'émotion, et ce côté déchiré qui sied obligatoirement au personnage de Werther, et qu'on cherchait vainement (pour avoir quelque chose à reprocher!) lors de son Don Carlo à Covent Garden, sont plus qu'au rendez-vous! Ce Werther-là est totalement bouleversant, de bout en bout, et déploie toutes les palettes de l'émotion, tantôt joyeuse (à l'acte I, lors de son entrée), tantôt teintée d'une pointe d'amertume (lorsqu'il voit les enfants chanter), se teintant enfin de nuages gris (lorsqu'il sent que son amour pour Charlotte est sans issue heureuse), puis totalement morbide et désespérée, avec un récitatif "Oui, ce qu'elle m'ordonne" extraordinairement glaçant - Werther envisage pour la première fois le suicide. Après un Lied d'Ossian (le fameux "Pourquoi me réveiller") maîtrisé à merveille, avec une tenue extraordinaire, Kaufmann délivre un acte IV étreignant, où l'on est littéralement suspendu à ses lèvres, détaillant pianissimo les dernières paroles du mourant. Un jeu scénique d'une sobriété et d'une justesse bienvenues achèvent de nous convaincre que, pour sa prise de rôle, Jonas Kaufmann a frappé un grand coup dans le coeur de chacun, avec une incarnation d'emblée idéale, pour ne pas dire miraculeuse, quand on songe que le chanteur allemand était cloué au lit quelques jours auparavant avec une grippe A - et quand on voit comme il toussait lorsqu'il ne chantait pas!

Sophie Koch est une très grande Charlotte, scéniquement comme vocalement, plus juvénile que Susan Graham l'an passé, plus féminine aussi, plus battante, d'un impact plus grand dans le haut de la tessiture, d'une belle couleur vocale, malgré un grave manquant de chair. Elle connaît sa Charlotte sur le bout des ongles, en comprend manifestement la personnalité, les hésitations, la tension entre la volonté et le devoir. A son crédit, nous retiendrons une vraie générosité vocale lors de l'air des Lettres et à la fin de l'acte III, où elle trouve des accents d'une justesse et d'une sincérité poignantes, quitte à se mettre légèrement en danger vocalement.
Ludovic Tézier est un Albert égal à lui-même, avec un sens du phrasé absolument magnifique, une tenue irréprochable, la raideur qui convient à ce personnage; quelques aigus partent un peu en arrière cependant, ce qui empêche sa prestation vocale d'avoir plus d'impact. Mais ce répertoire de baryton lyrique lui convient idéalement.
Anne-Catherine Gillet est parfaite en Sophie, rayon de soleil tournoyant autour de personnages broyant du noir. Une voix fruitée, ronde, un très beau timbre, une technique parfaite, une belle présence scénique, enthousiaste, engagée dans son rôle d'ange gardien de la famille...que de louanges à lui faire!
Quant à Alain Vernhes, il excelle, comme pratiquement toujours, dans ces rôles de père; la voix est toujours magnifiquement projetée, a de belles couleurs, se fait nuancée aussi, et la présence est toujours un mélange rare d'autorité et d'humanité.
Un bon "couple" Johann-Schmidt, avec Christian Tréguier très sonore et articulant magnifiquement le texte en Johann, Andreas Jäggi surjouant légèrement son Schmidt un peu clownesque, un peu "follasse", mais ô combien vivant.

Michel Plasson aime ce Werther et ça se sent - on le comprend aussi! Sa lecture manque cependant d'élan à certains passages, les plus joyeux notemment, et la lenteur des tempi globalement choisis souligne à quel point les chanteurs sont excellents, puisqu'ils arrivent à les tenir! Mais qui dit tempo lent ne dit pas forcément manque de tension, bien au contraire: la tension est là, très présente, étreignante, prenant le spectateur sans jamais le lâcher. L'accent est mis sur les cordes, notamment les cordes graves, pour donner une lecture sombre, morbide, avec peu d'éclaircies, peu d'espoir, mais beaucoup d'émotion - le prélude de l'acte IV est terrassant. Si l'orchestre laisse par moment éclater sa force (à chaque roulement de tambours et intervention des cuivres, dès les premiers accords!), il ne néglige pas pour autant les chanteurs, avec un accompagnement par exemple de "Oui, ce qu'elle m'ordonne" totalement à l'unisson avec Jonas Kaufmann - épuré, morbide, glaçant.


La mise en scène de Benoît Jacquot explore la solitude de ces êtres, leur isolement, l'incommunicabilité entre les personnages, dans un espace au milieu de nulle part. Rien ne manque à l'acte I: la maison du Bailli, la fontaine, le "coin sombre", le lierre qui recouvre les murs, le soleil aussi, avec un éclairage maladroit...Le réalisateur de cinéma a opté pour l'humilité pour sa mise en scène, le minimalisme aussi, serait-on tenté de dire. On peut se demander dans quelle mesure ce travail ne perd pas de sa force à Bastille, tant l'impression globale est qu'il ne se passe pas grand chose, que l'on s'ennuie légèrement, et qu'il n'y a pas vraiment d'idées. Pourtant, à y regarder de plus près, on évite, et de beaucoup, deux pièges dans lesquels certaines productions récentes étaient allègrement tombées: l'absence de direction d'acteurs, et la laideur. Le peu d'éléments de direction d'acteurs que l'on peut percevoir dans ce vaste espace, paraît d'une rare justesse, il est vraie appuyée par la qualité de jeu scénique de tous les protagonistes, Tézier excepté, et encore. A aucun moment par exemple, les chanteurs sont prostrés face à la scène à ne savoir que faire de leurs bras, et c'est déjà une petite victoire! L'esthétique globale est assez épurée, avec cette scène toujours en pente, la cour d'une maison au milieu de nulle part, le perron d'une église sur fond de ciel gris, puis un intérieur glaçant à la Hammershoj, enfin la chambre de Werther est un "encadré" au milieu d'une nature enneigée. Pas de faute de goût, de beaux costumes classiques, voici une deuxième victoire! Malheureusement, l'humilité du metteur en scène est telle que ce spectacle manque de grande idée, d'un surcroît de poésie, de force, qui ferait qu'on le retienne en tant que tel, qu'on n'aurait pas l'impression d'avoir davantage une "mise en espace" qu'une "mise en scène".

Mais ce qu'il faut retenir, c'est avant tout la fabuleuse prise de rôle d'un Jonas Kaufmann dont on ne connaît décidément pas les limites, et la quasi-perfection de la distribution; il paraît difficile de faire mieux actuellement, et cela suffit largement à notre bonheur! Une magnifique soirée sous le signe de l'émotion, fondamentale à l'opéra.

Die grosse Anne-Sofie von Gerolstein (La Grande Duchesse de Gérolstein en version de concert, Salle Pleyel, 11 janvier 2010)



Kammerorchesterbasel
Theaterchor Basel
Hervé Niquet : direction
Anne Sofie von Otter : mezzo-soprano
Agata Wilewska : soprano
Norman Reinhardt : ténor
Rolf Romei : ténor
Karl-Heinz Brandt : ténor
Christoph Homberger : ténor
ProgrammeJacques Offenbach
La Grande-Duchesse de Gérolstein (version de concert) Opéra bouffe de Jacques Offenbach Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy Acte I - Extraits
Entracte
La Grande-Duchesse de Gérolstein / Acte II & III - Extraits

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Soirée plutôt intrigante, mais en définitive plaisante, à la Salle Pleyel. Alors que l'on s'attendait à une version de concert de plus, on nous annonce dans le feuillet tenant lieu de programme, qu'il s'agit d'une production de...Christoph Marthaler, que nous n'aurons pas de personnage, mais "des âmes", que le dramaturge suisse a repensé toute une tragédie de l'ennui (pour un Offenbach, pourquoi pas?!)...De production de Marthaler, nous n'aurons eu que les costumes, certaines réadaptations de dialogues, en allemand, seulement à l'acte I, et quelques éléments de direction d'acteurs. Cette Grande Duchesse de Gérolstein a été conçue avant tout pour la scène, et l'on y perd forcément en version de concert, d'autant que les chanteurs sont davantage des acteurs que des chanteurs (la remarque vaut surtout pour Christoph Homberger, acteur magnétique, mais qui n'a plus beaucoup de voix), et que leur français est loin d'être parfait - on a parfois l'impression d'entendre une opérette viennoise caricaturant les manières françaises!

Et pourtant, cela fonctionne, grâce à l'enthousiasme de chacun, emmenés par Hervé Niquet qui privilégie davantage la vie, le mouvement, à la finesse, dans sa direction d'orchestre. Mais cela fonctionne surtout grâce à Anne-Sofie von Otter. La voix n'est plus ce qu'elle est, elle fait bien ses 25 ans de carrière. Mais quelle science du texte, quel français! Quel chic! Quelle espièglerie! Quelle classe! Sa Grande Duchesse mi-reine d'Angleterre mi-veuve joyeuse est absolument irrésistible d'auto-dérision et de sens comique. Et quelle présence sur scène! On ne voit qu'elle, et la salle lui réserve une juste ovation. Voilà ce qu'on appelle une Grande.

mercredi 13 janvier 2010

Le festival de Budapest (Concert Ivan Fischer, Salle Pleyel, 9 janvier 2010)


Très beau concert pour commencer l'année 2010 des concerts à Pleyel. Une première partie de programme consacrée à Wagner et à sa relation aux femmes: tout d'abord, Siegfried-Idyll, composé pour l'anniversaire de Cosima, puis les Wesendonck-Lieder, sur des poèmes de Mathilde Wesendonck, qui inspira comme on le sait Tristan et Isolde au compositeur allemand. Dès les premières mesures de Siegfried-Idyll, on est frappé par la beauté des couleurs de cet orchestre du Festival de Budapest qui ne cesse de progresser, des couleurs quasi-mahlériennes (on connaît l'amour d'Ivan Fischer pour Mahler dont il enregistre peu à peu toutes les symphonies), très Mitteleuropa, avec beaucoup de présence des bois, des cordes tantôt épaisses, tantôt claires, une grande précision rythmique, un travail sur les accents assez phénoménal, et un geste embrassant l'oeuvre en la tirant littéralement vers la Tétralogie, dont elle retrace quelques thèmes, notamment du duo final Brünnhilde-Siegfried dans Siegfried.
Le concert poursuit sur les mêmes bases élevées, avec des Wesendonck-Lieder aussi ambitieux à l'orchestre, ce dernier quittant son rôle d'accompagnateur (même s'il s'en acquitte très bien) pour jouer un rôle de véritable personnage dans ces déclarations d'amour infini qui esquissent le long duo d'amour de l'acte II de Tristan. Hélas, Petra Lang, si elle rend justice à l'exigence vocale de ces Lieder, n'est pas totalement au diapason interprétatif de l'orchestre - elle reste trop monotone, trop homogène vocalement, son interprétation manque de relief, d'accentuation du texte, là où l'orchestre déploie des trésors de subtilité.
La deuxième partie est consacrée à Petrouchka de Stravinsky, où se déploie un véritable festival de couleurs, d'accents, de précision rythmique, de caractère burlesque, ce qui rend l'interprétation totalement irrésistible et fait chavirer la salle. Décidément, l'orchestre du Festival de Budapest et son chef Ivan Fischer font partie des tous meilleurs.
Un bis virtuosissime d'Ernst von Dohnanyi nous en offre la confirmation. Et que le chef est beau à voir diriger, couvant ses musiciens d'un regard plein d'amour et de confiance!

mardi 12 janvier 2010

TOP 10: 5.Rosenkavalier au TCE (version de concert)

Une affiche de prestige qui a tenu - et de loin - toutes ses promesses, voilà qui est assez rare pour être souligné. Dans l'excitation des grands soirs, ce Chevalier à la Rose a marqué les mémoires: Renée Fleming signait son incarnation la plus aboutie de la Maréchale, enfin débarrassée de ses artifices, elle apparaissait sous son vrai jour, et la proximité entre l'artiste et le personnage qui se sent vieillir, était plus que saisissante lors du monologue de l'acte I. De plus, la soprano américaine était dans une forme vocale éblouissante, menant le trio final de main de maître. A ses côtés, Sophie Koch impressionnait d'insolence vocale et de finesse de l'incarnation en Oktavian, et Diana Damrau abandonnait ses habituelles minauderies pour faire preuve d'une magnifique sensibilité en Sophie. Une distribution masculine moins inoubliable, le Baron Ochs de Franz Hawlata tirant son personnage vers la farce de bas étage, à défaut de le tirer vers le haut vocalement; si Ramon Vargas peinait en Chanteur italien, Franz Grundheber faisait étalage de tout son métier et de sa remarquable longévité en Faninal. A noter, un "couple" Annina-Valzacchi absolument extraordinaire, avec Jane Henschel et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke.
Dans la fosse, Christian Thielemann, à la tête du Philharmonique de Munich, donnait une lecture très fouillée, contrastée, vivante, rythmée, colorée, en restant attentif aux chanteurs, sans éviter toutefois de les couvrir par moments; une lecture finalement plus allemande que viennoise, ce qui pourrait être interprété comme un contre-sens, mais était assumé avec brio. Et quel final! Un silence magique avant un trio stratosphérique.

Voici le trio final, donné par les mêmes interprètes, quelques jours plus tôt à Baden-Baden, en version scénique:


Tout est dans le titre (La Mélodie du Bonheur, Châtelet, 2 janvier 2010)


Quelle excellente idée de la part de Jean-Luc Choplin, directeur du Théâtre du Châtelet, que de programmer La Mélodie du Bonheur, comédie musicale à succès immortalisée par le film et la grâce de Julie Andrews, pour les fêtes de fin d'année! Compte-tenu de l'immense succès de l'oeuvre elle-même, la présenter dans des conditions satisfaisante aurait tout de même été une garantie pour contenter le public. Eh bien non, le Châtelet ne s'en est pas laissé compter, il a mis les petits plats dans les grands!
Emilio Sagi à la mise en scène, cela promettait du kitsch sucré comme on en attend peut-être dans cette oeuvre; le metteur en scène espagnol dépasse cela et réussit à coup sûr sa meilleure mise en scène au Châtelet, inspirée, regorgeant de bonnes idées (les portes du couvent qui s'ouvrent et se referment, le gazon comme sol unique, les lustres qui descendent du plafond pour le bal, la pente du décor qui suggère l'intrusion du monde extérieur mais aussi l'échappatoire pour la famille von Trapp...) et d'effets saisissants, notamment à la fin: lorsque le Capitaine von Trapp chante "Edelweiss", la salle du Châtelet est envahie de soldats nazis pointant leur arme vers le public; la famille s'échappe sous un drapeau nazi, qui finira englouti...Le tout fonctionne bien, est rythmé, bien dirigé (ce qui est souvent le point faible de ce metteur en scène) dans le détail, et relativement sobre.
Cette production est défendue par une équipe musicale irréprochable et d'un enthousiasme communicatif! Soulignons déjà que l'oeuvre de Rogers et Hammerstein fonctionne encore parfaitement; même si le public est légèrement dérouté par l'ordre des chansons (qui n'est pas le même que celui du film), la plupart sont archi-connues, émouvantes, draînent avec elle un lot de souvenirs d'enfance, et leur charme américano-viennois est absolument irrésistible. Ce n'était pas Sylvia Schwarz qui chantait cet après-midi là, mais Julie Fuchs, pleine de grâce et de fraîcheur. A côté, Rod Gilfry, en Capitaine von Trapp, faisait idéalement le personnage froid qui craque progressivement son armure, pour culminer sur un "Edelweiss" sur le fil de la voix, absolument bouleversant. De tous les rôles admirablement tenus, retenons la Mère Supérieure d'une bonté et d'une humanité renversantes de Kim Criswell, la Soeur Bertha drôlissime de Laetitia Singleton, le Max ambigu à souhait de Laurent Alvaro, le Rolf ardent de James McOran-Campbell, la Baronesse vénéneuse de Christine Arand, et la Liesl talentueuse et prometteuse de Karin Gilfry, la fille de Rod! Une équipe soudée comme une vraie troupe de comédie musicale, composée pourtant de chanteurs d'opéras, si bien qu'on se dit parfois que la sonorisation est presque superflue! Cette aide acoustique laisse à Kevin Farrell l'occasion de laisser sonner l'Orchestre Pasdeloup avec enthousiasme et générosité, et de révéler les sonorités à la Gershwin de la partition.
Il n'en fallait pas moins pour que le public soit totalement conquis, applaudissant tous les participants de ce très beau spectacle, au rythme du medley à l'orchestre à un rythme effréné! Idéal pour les fêtes, et pour retrouver, les larmes aux yeux, un peu (beaucoup?) de son enfance...
En voici un petit extrait: