Mise en scène, Giancarlo del Monaco
Décors, Carlo Centolavigna
Costume, Maria Filippi
Lumières, Wolfgang von Zoubek
Chorégraphie, Laurence Fanon
Andrea Chénier, Marcelo Alvarez
Carlo Gérard, Sergei Murzaev
Maddalena di Coigny, Micaela Carosi
Bersi, Francesca Franci
La Contessa di Coigny, Stefania Toczyska
Madelon, Maria José Montiel
Roucher, André Heyboer
Il Romanziero (Pietro Fléville), Igor Gnidii
Fouquier-Tinville, Antoine Garcin
Il Sanculotto Mathieu, David Bizic
Un Incredibile, Carlo Bosi
L’Abate, Bruno Lazzaretti
Schmidt, Ugo Rabec
Il Maestro di casa, Lucio Prete
Dumas, Guillaume Antoine
Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Paris
Chef du Chœur, Patrick Marie Aubert
Direction musicale, Daniel Oren
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J'ai surpris Pierre Bergé dire à Jack Lang, à l'entracte: "Tu vas voir, à la fin il va y avoir une ovation, les gens n'y connaissent rien!" Le fait est qu'une ovation a effectivement salué la première à l'Opéra de Paris du chef d'oeuvre de Giordano, retraçant habilement (et à sa sauce, grâce à Luigi Illica, un des librettistes favoris de Puccini) le destin du poète André Chénier, symbolisant à lui seul l'immense espoir, finalement déçu par les excès de la Terreur, soulevé par la Révolution Française, le tout conjugué d'un amour impossible entre deux personnages que d'abord tout oppose (le poète embrassant la cause révolutionnaire, provoquant l'ire de la Comtesse de Coigny, mère de Maddalena, l'héroïne) et que finalement tout réunit, la proscription (l'une est noble, l'autre modéré), l'amour et la mort dans un immene Liebestod à deux. La référence wagnérienne n'est pas interdite, dans certains détails de l'écriture orchestrale ainsi que dans le format héroïque requis par les chanteurs principaux. Il est intéressant à cet égard que le créateur du rôle titre fut le premier Siegfried italien: Giuseppe Borgatti.
Pour séduisant qu'il est, avec des airs d'un lyrisme magnétique et une écriture orchestrale très riche, cet ouvrage recèle de muliples pièges: comment représenter la Révolution Française sans éviter l'image d'Epinal? Comment retranscrire l'élan lyrique sans tomber dans la lourdeur vocale et orchestrale? Comment rendre justice à l'ambition de cette oeuvre?
Si la première d'une oeuvre aussi emblématique n'a pas atteint le rang de représentation idéale, la production présentée à l'Opéra Bastille (peut-être eût-il fallu davantage jouer sur ce symbole!) était globalement d'un très bon niveau musical, l'aspect scénique portant, une fois de plus à l'Opéra de Paris, à discussion.
Une bonne production d'opéra se doit avant tout d'être COHERENTE. Cela ne fut malheureusement pas le cas de la mise en scène de Giancarlo del Monaco (fils du grand Mario, un des meilleurs Chénier de l'Histoire), hésitant en permanence entre différentes esthétiques et différentes manières d'aborder l'oeuvre: à la distanciation décalée du tableau I, sorte de bal des morts-vivants droit sorti du Baron de Münchhausen ou de La Règle du Jeu de Renoir (avec l'automate se déréglant, symbolisement l'écroulement d'un monde), succède une sage et trop littérale illustration au II, qui se prolonge au début du III, avant de faire place à un symbolisme de bon aloi (bel effet: le tribunal révolutionnaire est situé à l'intérieur d'un théâtre en ruines, symbolisant le côté spectaculaire de la justice), pour repartir au IV dans le kitsch (une grille éclairée à la lumière phosphorescente!) et le laid. Comment juger la globalité d'une production aussi disparate?
Sa seule cohérence finalement réside en une direction d'acteurs très conventionnelle et franchement insuffisante, ne restituant pas les potentialités dramatiques de l'opéra: Où est l'insolence de Chénier au tableau I? Où est la violence de la déclaration de guerre de Gérard à l'Ancien Régime finissant? Où est l'intensité croissante de la passion entre Chénier et Maddalena, à mesure du danger encouru? Où est l'animalité de l'attirance de Gérard pour Maddalena (chacun est planté d'un côté à l'autre d'une immense table)? Où est la bravoure formidable de Chénier face à ses accusateurs? Où est l'intensité du sacrifice de Maddalena et la beauté suprême de la mort des deux héros? Autant de questions à des points qui ne vont pourtant pas chercher plus loin que le livret!!!
Dans ces conditions, toute caractérisation des personnages par les chanteurs relève de l'impossible, et c'est bien dommage, d'autant que la direction d'orchestre de Daniel Oren ne pouse pas dans ce sens, à étirer bizarrement les tempi (un début de "La mamma morta" interminable, certains temps morts...) au risque de faire chuter la tension et de mettre les chanteurs en difficulté. Ainsi, l'Improvviso ("Un dì all'azzurro spazio") de Chénier n'a jamais paru aussi improvisé, certes, mais il tombe à plat. De beaux moments cependant, où le chef paraît assez inspiré par le côté sombre, davantage que par le côté clinquant de la partition. En somme, un Daniel oren assez en contre-emploi par rapport à ce qu'il propose habituellement!
Côté chanteurs, la distribution, si elle n'est pas totalement parfaite, est globalement excellente, et l'on voit difficilement comment faire mieux actuellement, dans une oeuvre aussi difficile à distribuer.
Marcelo Alvarez, pour ses débuts très attendus dans le rôle titre, "rôle palier" cher à Nicolas Joel, laisse une impression mitigée. S'il n'a pas les moyens du rôle (écrasant), il joue de tout son charme vocal, de sa science des demi-teintes, de sa musicalité, et révèle, souvent à juste titre, qu'André Chénier était avant tout un poète subtil, cultivé, sensible et délicat. Cependant, il échoue à rendre totalement justice aux inflexions héroïques du personnage, restant en mal d'impact dans l'Improvviso, les élans amoureux du II et le duo final. Un plaidoyer magnifique lors du procès par contre ("Si, fui soldato"), soutenu en cela par le chef qui arrête quasiment son orchestre afin de ne pas gêner le ténor aux entournures. De plus, dans les passages héroïques, on peut regretter que le ténor pousse un peu trop, force un peu ses moyens, joue d'accents par trop véristes, alors que les passages poétiques sont magnifiquement réussis car laissant la voix s'épanouir. Cela fait d'autant plus regretter que le ténor argentin grossisse le son au risque d'altérer le timbre et de ne pas arriver assez "frais" lors du duo final.
Sa partenaire Micaela Carosi a réussi ses débuts à l'Opéra de Paris, imposant une Maddalena di Coigny vibrante, chaleureuse, intense, à la voix extrêmement solide, même si elle est un peu lourde pour l'écriture plus légère du I qui peint une jeune fille insouciante. Un gros impact vocal dans la salle, allant crescendo au cours de la représentation, avec une "Mamma morta" magnifique de construction musicale et technique, ce qui relève de l'authentique exploit vu le tempo adopté par Oren, et dans un duo final proprement ébouriffant. Une vraie révélation, une vraie voix et une personnalité, qui compensent largement un vibrato pas toujours parfaitement maîtrisé et un aigu forte légèrement crié.
Sergei Murzaev impressionne en Carlo Gérard, bien plus qu'il n'émeut, stature vocale à la Tom Krause, métal incroyablement percutant, aigus insolents, voix homogène sur toute la tessiture, solidité à toute épreuve. Un Gérard taillé dans le roc, un peu monolithique en contrepartie, assez terrifiant mais ne faisant pas tellement croire à l'évolution de son personnage. A déplorer un (léger) manque d'italianità chère aux puristes, qualité qui ferait de son Gérard un des tous meilleurs après Bastianini et Cappuccilli.
De bons voire de très bons seconds rôles, émergent le Mathieu magnifique vocalement de David Bizic (quel aigu!), la Madelon passionnante et émouvante de Maria José Montiel, et la Comtesse désabusée de Stefania Toczyska, déjà prête à enterrer tout son (grand) monde. D'excellents choeurs, très impressionnants d'impact et de précision lors du procès.
Pour résumer, une production tout à fait emblématique de la nouvelle ère à l'Opéra de Paris, privilégiant le chant par rapport au théâtre. Ne boudons pas notre plaisir et félicitons-nous des bonnes conditions musicales de cette entrée au répertoire, même si l'on peut déplorer l'incohérence de la mise en scène.
En attendant Güden II
Il y a 9 ans
4 commentaires:
Je vais encore passer pour la mouche du coche mais une déclaration du type : "Une bonne production d'opéra se doit avant tout d'être COHERENTE" me semble être un peu péremptoire (on peut aussi dire "alla nancéenne" si tu vois ce que je veux dire). Si la cohérence existait au sein de chaque acte, c'était déjà une très bonne chose... ça n'est pas non plus toujours le cas...
Sinon, je me demande toujours si la direction d'acteur à l'opera ne se heurte pas aussi parfois aux limites de certains artistes lyriques dans ce domaine. Tous ne sont pas des adeptes de notre Nat nationnale dans ce domaine, hélàs..
Je trouve tout de même qu'il faut une esthétique globale, là on ne sait pas du tout où le metteur en scène veut aller, on a l'impression qu'il y en a 4 différents! Une fois c'est distancié, une fois pas du tout, c'est bizarre, ça fait très "de bric et de broc".
Pour la direction d'acteurs, effectivement, surtout dans ce répertoire, c'est difficile de trouver des chanteurs qui "répondent". Alvarez, tu ne peux rien lui demander. Mais Del Monaco n'a rien demandé à personne, semble-t-il, en termes de direction d'acteurs. A part à Gérard de chanter son air assis. Très confortable!
je comprends tout à fait ce que tu dis pour Chénier, mais je voulais juste souligner qu'il y a des spectacles qui ne répondent aps toujours à ces critères de cohérence et d'esthétique globale et qui marcheront quand même. L'exemple qui me vient à l'esprit, c'est la Taviata de Marthaler où l'acte à la campagne et l'acte Final n'ont esthétiquement rien à voir entre eux ni avec le reste de la prod. C'est peut-être le défaut majeur de cette prod du reste, mais on n'en a jamais aprlé dans les termes que tu utilises pour Chenier.
Chénier hier (filmé pour la télé et/ou un dvd manifestement):
Vocalement assez bien défendu. (Mais il a failli y avoir un petit accident et 2 secondes de flottement pendant la mamma morta, mais bien repris en main par Carosserie ; quant à Alvarez, le 4è acte était de trop : il n'en pouvait plus.
Oren hué par quelqques cons aux saluts. Alors que franchement il n'y avait pas de quoi fouetter un chat. Mais c'est vraiment le fait de 4/5 crétins. Les bravos l'emportent sans discussion.
La mise en scène est bizarre effectivement, peu cohérente entre ses tableaux, la direction d'acteurs ultra-minimaliste, mais bon, rien d'indigne non plus. Ca passa au final. Seule la fin avec cet éclairage vert et cette idée débile de leur faire grimper les grilles pour leur faier passer la moitié du corps à travers alors que cela ne les met pas très à l'aise est complètement stupide.
Franchement, sans dire que j'ai passé une soirée extraordinaire, c'était une très bonne soirée, à des lieues des Boheme, Salome etc. vues précédemment.
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