lundi 8 mars 2010

A great night music (A Little Night Music, Théâtre du Châtelet, 16 février 2010)




Direction musicale Jonathan Stockhammer


Mise en scène Lee Blakeley
Décors Rae Smith
Chorégraphie Andrew George
Costumes Jo Van Schuppen
Lumières Jenny Cane

Henrik Egerman David Curry
Anne Egerman Rebecca Bottone
Fredrik Egerman Lambert Wilson
Petra Francesca Jackson
Désirée Greta Scacchi
Comte Carl-Magnus Malcom Nicholas Garrett
Comtesse Charlotte Malcom Deanne Meek
Fredrika Armfeldt Celeste de Veazey
Madame Armfeldt Leslie Caron
Mr Lindquist Damian Thantrey


Ms Nordstrom Kate Valentine
Mrs. Anderssen Rachael Lloyd
Mr Erlanson James Edwards
Ms Segstrom Daphné Touchais
Frid Leon Lopez

Musique et Lyrics Stephen Sondheim
Livret de Hugh Wheeler
d’après le film Sourires d’une nuit d’été d’Ingmar Bergman

Orchestre Philharmonique de Radio France

Produit originellement
à Broadway par Harold
Prince.
Spectacle présenté en accord avec Josef Weinberger Limited, au nom du Music Theatre
International de New York




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Il est des spectacles où l'on va, un peu au hasard, attiré par un frémissement de bouche-à-oreille, sur un supposé "petit bijou"...et d'où l'on sort comme transformé, conscient d'avoir passé un moment rare et délicieux. Cette Little Night Music, inspirée d'une des rares comédies d'Ingmar Bergman, Sourires d'une nuit d'été, fait partie de ces heureuses surprises, réunissant tous les ingrédients pour passer une merveilleuse soirée...d'hiver!



Un livret subtil
Extrêmement bien écrit, avec des dialogues d'un esprit très british, du rythme, le livret est une comédie amoureuse, avec du Marivaux, avec son badinage pas si léger, du Feydeau, avec ses quiproquos et ses faux-semblants, mais aussi une petite dose de Tchekhov dans une atmosphère plus mélancolique qu'il n'y paraît à l'acte II, dans la propriété de Madame Armfeldt.
Tentons de résumer l'histoire: Madame Armfeldt dit à sa petite fille Frederika de guetter les trois sourires de la nuit d'été: l'un pour la jeunesse, l'autre pour les fous, et le dernier pour les vieux.
ACTE I
L'avocat Fredrik Egerman a récemment épousé Anne, 18 ans, restée vierge. Il arrive avec deux billets pour aller voir l'actrice Désirée Armsfeldt. Au spectacle, elle remarque Fredrik parmi les spectateurs, joue à son intention, ce qu'Anne remarque...cette dernière quitte donc la salle. Pendant ce temps, chez les Egerman, Henrik, fils de Fredrik, a tenté maladroitement de séduire Petra, la bonne. Après avoir mis Anne au lit, Fredrik décide d'aller rejoindre Désirée qui lui accorde ses faveurs.
Pendant ce temps, Madame Armfeldt évoque avec nostalgie ses anciennes aventures ("Liaisons").
Fredrik et Désirée sont surpris par l'arrivée de Carl-Magnus, l'amant de l'actrice, un dragon très jaloux. Ils essaient tant bien que mal de cacher leur avanture.
Carl-Magnus revient vers son épouse Charlotte, lui suggère qu'elle pourrait révéler à Anne l'escapade nocturne de son mari. Quand elle le fait, elle s'effondre en réalisant que son mariage n'est qu'une façade.
Désirée rend visite à sa mère à la campagne afin que celle-ci invite les Egerman: elle veut regagner le coeur de Fredrik. Anne, après avoir consulté Charlotte, décide de l'accepter. Le Comte décide lui aussi de s'y rendre avec Charlotte, même sans invitation.

ACTE II
Voici donc tout ce petit monde à la campagne, dans le même lieu!
Charlotte veut regagner le coeur de son mari en le rendant jaloux, tandis qu'Henrik avoue à Frederika qu'il est éperdument amoureux...de sa belle-mère Anne!
Le dîner tourne mal et tout le monde se disperse.
Fredrik rejoint Désirée dans sa chambre, celle-ci lui avoue la raison de cette invitation, mais Henrik se révèle incapable de quitter Anne.
Anne et Fredrika cherchent Henrik dans le jardin, et le trouvent finalement avec une corde pour se pendre...Anne découvre qu'Henrik est amoureux d'elle, et ils décident de s'enfuir ensemble. Petra part avec le majordome. Charlotte console Fredrik de la perte de son fils et de sa femme, ce qui provoque la jalousie de Carl-Magnus qui blesse Fredrik à la roulette russe, et repart donc avec Charlotte, leur amour étant ravivé.
Désirée et Fredrik se rendent compte qu'ils étaient faits pour vivre ensemble ("Send in the clowns").

Madame Armfeldt dit à sa petite-fille que la nuit a déjà souri deux fois: pour les jeunes et pour les fous. La nuit sourit pour la troisième fois pour Madame Armfeldt, qui meurt paisiblement.


On a donc dans ce livret tous les ingrédients d'un chassé-croisé amoureux extrêmement virtuose, qui plus est avec un resserrement rendu légèrement inquiétant (de part la violence d'un Carl-Magnus, la "voracité" de cette croqueuse d'hommes qu'est Désirée Armsfeldt, la jeunesse et donc l'inconscience d'un Henrik) par l'unité de lieu à l'acte II. Cela m'a fait penser à La Règle du Jeu de Jean Renoir, la fin tragique en moins: tout le monde se retrouve au même lieu, dans l'espoir de résoudre tous les conflits amoureux, dans un endroit retiré du monde, où tout est possible!



Une musique d'une grande qualité

Quand on est lyricomane, on considère toujours, même inconsciemment, la comédie musicale comme un genre léger, "mineur", surtout au niveau musical! Il ne faut pas avoir écouté Little Night Music pour penser cela, tant la partition recèle de trésors, tant dans un accompagnement orchestral coloré, fin, avec de nombreux motifs orientalisants, des rythmes de danse (avec le quintette vocal, entrecoupant habilement l'action pour la laisser respirer), que dans une écriture vocale et mélodique à la fois savante et efficace, laissant transparaître l'émotion à chaque détour, dans une magnifique synthèses d'éléments classiques (Liebeslieder-Walzer de Brahms, quelques "orientalismes" russes notamment) et du XXème siècle (Gershwin, Bernstein, etc.). L'Orchestre Philharmonique de Radio-France, sous la direction alerte de Jonathan Stockhammer, met tout cela magnifiquement en évidence.


Pour se donner une petite idée de cette qualité, voici "Send in the clowns" par la fabuleuse Glenn Close:






Des interprètes parfaits


Dans cette Little Night Music, nous chercherons en vain à critiquer les chanteurs-acteurs, absolument parfaits!


Venant de l'opéra, cela est très agréable, surtout pour un spectateur frustré à l'Opéra de Paris en ce moment, de constater combien tous ces chanteurs jouent à merveille la comédie, sont autant acteurs que chanteurs, voire plus acteurs que chanteurs, sans pour autant sacrifier à la musique!


En tête d'affiche, la grande Leslie Caron, immortelle, grand-mère aimante, digne, irrésistible de charme et de sensibilité, notamment dans un très émouvant "Liaisons" où elle fait étalage de tout son abattage, de sa finesse et de sa verve.

Autre monument, Greta Scacchi, plus diseuse que chanteuse (et encore!), extraordinaire de charisme en diva du théâtre qui a tout connu dans la vie, éprouve une lassitude bien légitime, une envie d'enfin construire quelque chose.

Lambert Wilson fait preuve d'un métier et d'un chic extraordinaires, composant un Fredrik Egerman à fleur de peau, entre frustration et désir de retrouver les folles amours de sa jeunesse. Quel acteur, une fois de plus, et quelle belle voix de baryton!

David Curry EST Henrik Egerman, coincé, maladroit, maladivement timide, éperdu d'un amour inavouable, tandis que Rebecca Bottone, Anne qui finit par lui céder, fait preuve de subtilité, entre la jeune femme pudibonde et l'amoureuse qui se révèle.

Mentions spéciales pour Nicholas Garrett, Carl-Magnus rigide à souhait, superbe vocalement; Francesca Jackson, Petra virevoltante; et surtout Deanne Meek, Comtesse Malcolm d'un humour et d'un cynisme exceptionnels.


Notons l'excellente prestation d'un quintette vocal composé de Damian Thantrey, Kate Valentine, Rachael Lloyd, James Edwards et Daphné Touchais.




Une mise en scène d'une fluidité et d'une beauté stupéfiantes


Lee Blakeley signe une mise en scène où il n'y a rien à redire! Il gère admirablement les différents espaces à l'acte I (demeure de Madame Armsfeldt, chambre des Egerman, salon des Egerman, loge de Désirée...) par un système très ingénieux de mouvements de rideaux de scène, permettant de passer d'un espace à l'autre, d'un coup, avec une virtuosité et une fluidité incroyables. De plus, les rideaux, outre le fait qu'ils délimitent les espaces, ont des fonctions bien particulières: paravent, rideau de scène pour la pièce de théâtre, murs...Dans cette mise en scène, chaque détail compte, rien n'est gratuit, l'espace est magnifiquement utilisé.

Cela culmine lors de l'acte II avec un magnifique décor signé Rae Smith, magnifié par les lumières de Jenny Cane...On se croirait presque dans un tableau de Klimt, avec cette maison "dorée" stylisée, cet arbre non moins stylisé, les fenêtres qui s'ouvrent et se ferment symboliquement, ce parfum de nostalgie de la fin de l'été, ce côté délicatement inquiétant...Les costumes de Jo van Schuppen sont pleins de goût, tout comme les virevoltantes chorégraphies d'Andrew George, donnant irrésistiblement envie de danser avec les interprètes!


Tous les ingrédients en somme pour passer une merveilleuse soirée...allons même plus loin: une parfaite soirée!


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