Philippe Jordan | Direction musicale |
Günter Krämer | Mise en scène |
Jürgen Bäckmann | Décors |
Falk Bauer | Costumes |
Diego Leetz | Lumières |
Otto Pichler | Chorégraphie |
Falk Struckmann (4, 10, 13, 16, 22, 25 mars) / Egils Silins (19, 28 mars) Wotan Samuel Youn Donner Marcel Reijans Froh Kim Begley Loge Peter Sidhom Alberich Wolfgang Ablinger-Sperrhacke Mime Iain Paterson Fasolt Günther Groissböck Fafner Sophie Koch Fricka Ann Petersen Freia Qiu Lin Zhang Erda Caroline Stein Woglinde Daniela Sindram Wellgunde Nicole Piccolomini Flosshilde
Orchestre de l’Opéra national de Paris
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Cela faisait plus de cinquante ans que l'Opéra de Paris attendait le Ring de Wagner! Autant dire que les attentes et l'excitation étaient très grandes, renforcées par la politique de communication de l'Opéra de Paris, qui n'hésitait pas à faire parler dans les médias du "retour du Ring à Paris depuis plus de 50 ans", ce qui est parfaitement inexact (les spectateurs assidus se rappellent - ou pas! - des épisodes Tate/Strosser au Châtelet et Eschenbach/Wilson, pour ne parler que des deux dernières décennies). Nicolas Joel lui-même promettait de mettre les petits plats dans les grands en faisant débuter Philippe Jordan en tant que directeur musical, et en confiant la mise en scène à Günther Krämer pour un "superbe livre d'images". Cette expression faisait naître quelques doutes, mais n'entamait pas l'excitation propres aux grands soirs, aux événements, surtout dans une saison qui jusque là en a été relativement pauvre (le Werther idéal de Jonas Kaufmann excepté).
Hélas! La soirée s'est bien mal engagée, avec un prélude (LE prélude s'il en est un) complètement raté, trop forte dès le départ, privant le spectateur du fabuleux crescendo, le tout "agrémenté" de quelques légers couacs aux cuivres. L'orchestre (la tension de la première?) et son chef semblaient paralysés par l'enjeu, ce qui dans une page à la fois aussi simple et aussi complexe, ne pardonne pas.
Durant deux secondes, j'ai cru que j'allais aimer cette mise en scène: la scénographie paraissait poétique, avec ces mains rouges figurant les algues au fond du Rhin bercées par le courant...Puis, rapidement, les limites m'ont sauté aux yeux, avec ces costumes des Filles du Rhin, sorties d'un Almodovar du pauvre, des chorégraphies très "gadget", gratuites, n'apportant rien à l'affaire.
Il me paraît globalement difficile de défendre une telle mise en scène, sous différents aspects:
- son point de départ: la seule cohérence à cette réalisation, qui oscille entre le livre d'images extrêmement illustratif et la saturation de symboles, me paraît être la dérision, voire l'auto-dérision. Ainsi les filles du Rhin ne sont rien de plus que des filles de joie, les Dieux ne sont que des hommes encombrés d'une fausse musculature, les géants sont des militaires, etc. Cette volonté d'auto-dérision est déployée à l'infini, de façon grotesque, souvent inutile (la musique ne dit-elle pas le contraire, le Ring n'est-il pas une immense oeuvre censée décrire le déchirement de l'humanité pour la richesse matérielle?), alourdit considérablement le propos, quand il ne le dessert pas.
- son esthétique: autre chose qui frappe beaucoup l'oeil, c'est l'incohérence esthétique totale. Pour résumer, rien ne va avec rien: les décors, les costumes, d'une scène à l'autre comme au sein de la même scène, avec des horreurs visuelles incroyables, voire impardonnables à ce niveau: ainsi, le globe terrestre et son éclairage phosphorescent, ou bien le dragon figuré avec le même éclairage, la fausse musculature des Dieux et des Déesses...Presque aucun fil directeur dans le présupposé initial comme dans l'esthétique, cela fait beaucoup! D'autant qu'à aucun moment l'on a l'impression de voir quelque chose qui n'a pas été vu: un abus de fumigènes comme on n'en fait plus à l'opéra, le miroir tendu au public (Rosenkavalier par Wernicke), la boule figurant l'or (Norma par Mussbach au Châtelet), l'éclairage phosphorescent sur une grille (Andrea Chénier par Del Monaco à Bastille), le tableau pseudo-futuriste du Walhalla (toutes les mises en scènes du Regietheater allemand des années 80), l'irruption ridicule de "commandos" du GIGN avec drapeaux rouges et tract (aspect "politique" du Ring maintes et maintes fois ressassé...). Ainsi, ce kaléïdoscope donne une curieuse impression de bricolage.
- sa réalisation: volontairement (ou non?), Günther Krämer a voulu, en plus d'hésiter entre le très terre-à-terre et le symbolique, en plus de démonter ces symboles par la dérision, montrer les dessous du théâtre, les "coutures". Mais là où un Olivier Py l'intègre intelligemment à sa scénographie, Krämer ne fait que souligner le côté ridicule et pauvre de la réalisation, avec ce "fumigateur" qui traverse plusieurs fois la salle, le draps tendu pour figurer le ciel que Donner fend en faisant venir l'orage, les Nibelungen à genoux dans de grosses bottes. De plus, l'espace est souvent mal utilisé, avec peu de profondeur de scène (seulement pendant les transitions, par ailleurs fort mal réglées, par un ballet continu de miroirs et de fumigènes), et beaucoup de gestes donnent l'impression d'être gratuits, impression qui culmine avec les géants qui font rassembler l'or, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, et les Dieux qui font et défont leurs cuirassent - cela permet (mal)habilement de meubler une direction d'acteurs par ailleurs assez paresseuse.
- son propos: chaque personnage ou groupe de personnage se trouve donc ridiculisé, réduit à un archétype - des filles du Rhin péripatéticienne, un Alberich veule et faiblard, des Dieux prétentieux mais ridicules, des géants "bourrins", Loge en est réduit à faire le clown - lorsqu'il parle des filles du Rhin, il endosse même leur costume, ce qui montre à quel point on fait confiance à l'intelligence du public!!! "Philosophiquement", la mise en scène ne semble pas là pour poser des questions, susciter de la réflexion, mais pour donner arbitrairement des pistes allant dans tous les sens, entre vulgarité, symbolisme et politique. Ainsi, l'on est assez mal à l'aise de voir, gravissant le magnifique escalier final du Walhalla, des jeunes hommes droits sortis de Leni Riefenstahl portant les lettres formant "GERMANIA". Un avertissement (pas très subtil) au spectateur en lui disant où mène la folie des Dieux?
Notons qu'à plusieurs reprises, cette mise en scène m'a paru aller contre la musique, que ce soit dans le point de vue comme dans le côté visuel qui "gâchait" vraiment l'écoute...une grande première pour ma part, peut-être avec les matelas gonflables de la Flûte enchantée (par ailleurs fort intéressante) vue par la Fura dels Baus.
Wagner paraît décidément bien difficile à assumer!
Qu'en est-il du côté musical?
Je m'excuse d'avance pour la disproportion entre l'aspect scénique et l'aspect musical, mais ce dernier était incroyablement écrasé par ce qui se passait sur scène. Dommage car il méritait mieux!
Contrairement à la lourdeur des propos véhiculés par la mise en scène, la direction d'orchestre de Philippe Jordan, hormis un prélude raté (bien mieux réussi le 16 mars, même si le crescendo immense aurait pu être mieux négocié), se voulait légère, claire de texture, aérienne, quasi mozartienne. Pari réussi? A moitié seulement, car si l'on ne s'ennuie pas une seconde, la lecture qu'en fait le nouveau directeur musical de l'ONP paraît trop "gentille", trop uniforme aussi, avec peu de contrastes dynamiques. Les transitions étaient particulièrement soignées, mais on aurait aimé être terrifié lors de l'entrée dans le Nibelheim (écoutons Böhm!), on aurait aimé sentir ce souffle de l'épopée, ce sens de la grandeur, du tragique, cette ambition, ce côté tellurique dont regorge la partition, et qui faisait cruellement défaut. Sans compter que l'orchestre manquait de vraie identité, de vraie pâte sonore, et n'était pas toujours en place (avec à chacune des deux représentations quelques couacs aux cuivres). Au rang des satisfactions, le chef suisse était extrêmement attentif aux chanteurs, sans les couvrir un seul instant. Mais à aucun instant, l'on a l'impression de percevoir une véritable "vision" de l'oeuvre.
Dans les conditions scéniques que l'on sait, les chanteurs s'en sont très bien sortis, avec en tête l'Alberich de Peter Sidhom, qui fait scéniquement et vocalement le tour de son personnage, et les géants de Ian Paterson et Gunther Groissböck, impressionnants de solidité vocale sans sacrifier pour autant à la beauté du chant. Très belle Erda, sur un tapis de velours, de Qiu Lin-Zhang, tout comme la digne Fricka de Sophie Koch. Au niveau de la composition du personnage, la palme revient au fascinant Kim Begley, Loge subtil, jamais dans la caricature, plutôt bien chantant pour ce type de voix, tandis que les deux autres ténors, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (mais on l'attend davantage dans Siegfried) en Mime et Marcel Reijans en Froh, manquent d'impact, ce qui n'est pas le cas de Samuel Youn, Donner tout d'une pièce. La Freia d'Ann Petersen déçoit, beau tempérament mais voix rapidement acide, tout comme le Wotan bien usé de Falk Struckmann, quasiment entièrement dépourvu de ligne de chant, de nuances, fatigué à la fin de l'ouvrage, au moment où il devrait dominer tout le monde, engoncé dans un personnage sourd à l'altérité. Voilà qui inquiète pour le deuxième volet de ce Ring, prévu pour mai-juin prochains.
Coup de craie de Beckmesser pour une mise en scène indigne de la plus grande scène de France, encouragements pour une équipe vocale et musicale solide et sérieuse, à défaut d'être géniale.
La suite en juin 2010!
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