vendredi 22 janvier 2010

ParaNORMAle (Norma, Théâtre du Châtelet, 18 janvier 2010)




Direction musicale: Jean-Christophe Spinosi
Mise en scène: Peter Mussbach
Décors: Daniela Juckel, Peter Mussbach
Dramaturge: Axel Bott
Costumes: Andrea Schmidt-Futterer
Lumières: Alexander Koppelmann

Norma: Lina Tetriani
Adalgisa: Paulina Pfeiffer
Pollione: Nikolai Schukoff
Oroveso: Nicolas Testé (souffrant, remplacé "vocalement" par Wojtek Smilek)
Clotilda: Blandine Staskiewicz
Flavius: Luciano Botelho

Ensemble Matheus

Choeur du Châtelet - Nicholas Jenkins, chef de choeur


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On attendait beaucoup (trop?) de cette nouvelle production de Norma au Théâtre du Châtelet, qui promettait au moins de sortir des sentiers battus, avec une vision que l'on espérait renouvelée, grâce à Jean-Christophe Spinosi côté musique, et Peter Mussbach côté théâtre. Las! Ce fut à mon sens un coup d'épée dans l'eau.
Norma à l'asile de fous, quelle idée originale! Cela donne la désagréable impression que lorsqu'un metteur en scène ne sait pas quoi faire, il crée une "sur-distanciation" avec son sujet en utilisant ce lieu bien commode. Mais autant, dans Lucia (vue par Andrej Serban) ou La Dame de Pique (par Lev Dodine), l'asile psychiatrique pouvait se justifier, symbolisant l'enfermement des protagonistes jusqu'à la folie, autant, dans Norma, on cherche toujours le rapport avec le sujet de l'intrigue. On cherche également en vain comment les relations entre les personnages se justifient dans un tel contexte, tous ces personnages étant fous, comme s'ils jouaient au plus hystérique. Si encore Norma était infirmière, Adalgisa aide-soignante, Pollione psychiatre honni de cette peuplade de fous, on pourrait comprendre les interactions entre eux, la volonté de Norma de "monter" tout le monde contre l'envahisseur romain - même si le propos aurait déjà été très réducteur! Ici, tout le monde est sur le même plan, ou presque, et sur un mode monomaniaque - on cherchera en vain la complexité de leur personnalité et les tiraillements qu'ils éprouvent. Qui plus est, chacun gesticule de façon à la longue énervante pour le spectateur, les costumes sont d'une rare laideur, et les éclairages parfois fulgurants (au début du II, joli éclairage "paquebot"), sont vite lassants, passant sans arrêt du bleu au jaune puis au rose, dans une esthétique très datée, Regietheater des années 80. A cela s'ajoute ce que j'appellerais des "gadgets", éléments de scène occupant tous les protagonistes sans que l'on sache pourquoi. Ainsi, chacun s'affaire autour d'une grande boule, la poussant d'un côté, de l'autre, menaçant de se faire écraser par elle...Nous avons cherché en vain ce que signifiait cette boule: la Lune? la fatalité? Atlas portant le monde? Toujours est-il que son omniprésence sur scène lasse très vite, voire énerve, son utilisation devenant systématique et inutile. La direction d'acteurs, si elle est bel et bien présente, n'évite pas non plus le piège du "gadget", chaque personnage ayant un registre très répétitif de gestes assez abscons. Ajoutons à cela que de nombreux spectateurs échappent à certaines scènes, le célébrissime "casta diva" étant chanté totalement sur le côté de la scène...Et l'on comprend l'énervement du public, qui a réservé une monumentale bronca à l'équipe scénique.
Cette bronca met mal à l'aise, car on se demande toujours si c'est précisément CETTE mise en scène en particulier qui a été sifflée, ou le principe-même d'une mise en scène "moderne", d'une "relecture", pour choisir un terme moins ambigu.
Le problème de cette mise en scène paraît surtout être le manque de pertinence avec le sujet traité: on a du mal à trouver des points de contact entre ce que l'on voit sur scène, et l'oeuvre pensée par Bellini.
Musicalement, ce fut un peu meilleur, à défaut d'être transcendant.
Jean-Christophe Spinosi, à la tête de l'Ensemble Matheus, exécute l'ouverture par une couleur trop uniforme, une esthétique trop baroque (les premiers accords!), déconcerte par un son sec, et surtout des tempi un peu uniformément rapides, empêchant la musique de Bellini de respirer...Ainsi, si cela épargne par définition des longueurs initiales (choeur d'entrée, air d'Oroveso), le récitatif "Sediziose voci" et l'air "Casta diva" deviennent totalement méconnaissables - ce qui empêche l'émotion de venir. Cette émotion ne viendra pas tout au long de la soirée, malgré des efforts louables sur les phrasés, les ensembles, l'attention aux chanteurs, à défauts de nuances et de respiration. Le prétendu retour à l'orchestre de Bellini ne fut pas goûté de tous les spectateurs, manifestement.
Lina Tetriani a du mérite de venir à bout d'un rôle aussi exigeant. Pas gâtée par le metteur en scène, elle interprète un personnage trop univoque, dont on a du mal à comprendre les motivations, hésitations, et contradictions. Vocalement, si elle est aidée - sauf dans les vocalises, naturellement - par les tempi rapides du chef, elle éprouve des difficultés dans l'aigu, qui se fait serré, et ne fait pas assez de nuances, lassant par une couleur vocale un peu uniforme. Une prestation plutôt honorable cependant.
Nikolai Schukoff est un ténor vaillant, au timbre assez mâle, qui correspond assez au rôle. Certes, la couleur est davantage allemande qu'italienne, un peu uniforme aussi, mais nous retiendrons un beau travail sur le texte et les phrasés, qui méritait mieux que l'accueil plutôt froid qu'il a reçu, sanction d'un contre-ut raté lors de son air d'entrée.
La véritable révélation de la soirée fut l'Adalgisa de Paulina Pfeiffer, voix très dense, riche, sonore, avec une magnifique extension dans l'aigu, une belle ligne de chant, quelques petits problèmes de justesse cependant, dans les phrases où il faudrait qu'elle allège un peu davantage son émission.
Nicolas Testé, souffrant, n'interprétait le rôle d'Oroveso que scéniquement, Wojtek Smilek assurant du côté de la scène la partie chantée, et plutôt bien, d'un timbre sombre, mordant. Bons Flavio de Luciano Botelho et Clotilde de Blandine Staskiewicz.
Une mention spéciale pour le choeur du Châtelet, très en place, précis, sonore, nuancé, avec un bel engagement vocal comme scénique.
Pour résumer, une partie musicale honorable et une partie scénique à mon sens indéfendable, pour un ensemble qui manquait d'un élément pour moi indispensable dans une telle oeuvre: la GRANDEUR.

2 commentaires:

aurel a dit…

Je souscris entièrement à votre analyse, cher maître, et je n'aurais pas mieux dit. La mise en scène m'a proprement empêché de rentrer pleinement dans l'action; expérience ratée donc, et d'autant plus rageante que c'était une première pour moi.

Aurel

Don Carlo a dit…

Une première à l'opéra ou une première pour Norma?
En ce qui me concerne, c'était ma deuxième Norma, et la première n'était pas fameuse non plus: une version horriblissime esthétiquement à Berlin, où il ne se passait rien sur scène...