- Orchestre de Paris
- Christoph von Dohnányi : direction
- Martin Helmchen : piano
PROGRAMME
- Jörg Widmann
- Con brio hommage à Ludwig van Beethoven création française
- Anton Dvorák
- Concerto pour piano
- Entracte
- Ludwig van Beethoven
- Symphonie n° 3 "Eroica"
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Il est des concerts marqués par le sceau de l'évidence. Evidence de la programmation, d'abord, autour de Beethoven, avec deux oeuvres en forme d'hommage, l'un humoristique, l'autre sérieux, et un des chefs d'oeuvres du compositeur. Evidence d'un lien entre Christoph von Dohnanyi et l'Orchestre de Paris, dont il a été premier chef invité et conseiller musical de 1998 à 2000. Evidence de l'interprétation, si solide, probe, intelligente et humble devant la musique, qu'elle sonne immédiatement comme une référence.
L'ombre tutélaire de Beethoven...Vaste sujet qui a inspiré (ou bridé) de nombreux compositeurs du XIXème siècle. Ce que l'on sait moins, c'est que le compositeur de Bonn continue d'inspirer nos compositeurs contemporains, à l'image du talentueux Jörg Widmann, qui avait présenté à l'Opéra Bastille Am Anfang il y a maintenant plus d'un an. Sans se référer explicitement à des extraits des 7ème et 8ème symphonies de l'opus beethovénien, il s'inspire de "gestes caractéristiques", notamment de leur "fureur rythmique". Force est de constater que rarement on a entendu oeuvre contemporaine avec une pareille inventivité rythmique et un pareil enthousiasme brillant (le titre, Con brio, convient à la perfection): l'utilisation de la timbale de manière mélodique, avec un éclat et une virtuosité incroyable, restera longtemps dans les mémoires. La pièce est passionnante de bout en bout, mêlant bruitages et harmonies plus tonales; elle mérite, surtout interprétée de la sorte, de figurer dans les programmes des concerts, par son inventivité, sa fougue, son esprit.
Le programme se poursuivait avec le méconnu Concerto pour piano en sol mineur, op.33, d'Antonin Dvorak, à la redoutable difficulté technique - Dvorak n'étant pas à proprement parler un virtuose du piano, les positions que la partition exige de la part de l'interprète ne sont pas naturelles -, si bien qu'après la mort du compositeur, Vilém Kurz en révisera l'écriture pianistique; il fallut attendre un certain Sviatoslav Richter pour réimposer la partition originale. C'est peu de le dire que ce manque de naturel de l'écriture pianistique ne vient même pas à l'idée d'un spectateur non averti, tant Martin Helmchen domine de la tête et des épaule son sujet techniquement, avec une fluidité extraordinaire. Interprétativement, le jeune allemand est absolument magistral: une grande musicalité, un toucher d'une délicatesse et d'une sensibilité exquises, une intelligence à toute épreuve, permettant de mettre en valeur de façon très claire et lisible l'architecture de l'oeuvre, sans tomber dans l'explication de texte. Rarement le dialogue entre un orchestre et un pianiste est porté à un si haut degré de réciprocité. Gageons sans nul doute que Martin Helmchen ira loin, tant il semble à la fois mûr et humble par rapport à la musique. Avec un chef au diapason de son pianiste (et réciproquement, donc), il est difficile de résister!
La clarté, l'intelligence, l'enthousiasme et l'humilité devant la musique, toutes ces qualités se retrouvent dans une exécution mémorable de la Symphonie Héroïque de Beethoven, dont le sens résonne incroyablement aux yeux du Français que je suis: on perçoit extrêmement bien l'enthousiasme démesuré que les idées des Lumières et de la Révolution Françaises ont provoqué chez le compositeur (Allegro con brio initial), pour laisser place à une amère désillusion (Marcia funebre du IIe mouvement), la célèbre dédicace à Bonaparte, biffée, apparaît sous nos yeux. Loin de tomber dans le piège de l'acoustique de Pleyel en tentant une lecture intimiste (piège dans lequel il était tombé avec son orchestre de la NDR de Hambourg il y a 2 ans), Dohnanyi fait exploser son orchestre dans un magnifique éclat d'orgueil, avec un mouvement initial d'une juvénilité, d'un enthousiasme, d'un élan extraordinaires. Le contraste n'en est que plus grand avec le sublime deuxième mouvement, où le chef s'attache à mettre en valeur les contre-chants, les textures des cordes qui s'épaississent jusqu'à la surprenante fugue; l'émotion est à son paroxysme dans cette page si haute d'inspiration. Dans les deux derniers mouvements, la hauteur de vue et l'intelligence sont là: non, tout ne sombre pas dans la désillusion, Beethoven va chercher un étendard plus élevé qu'un Bonaparte pour passer son message révolutionnaire; l'enthousiasme revient en force, prométhéen, emportant tout sur son passage, embelli par la direction limpide de Dohnanyi, tirant le meilleur d'un Orchestre de Paris visiblement très motivé par son chef.
Premier coup de coeur de la saison!
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